Coproduction à l’heure du numérique : ni rejet ni illusion !

Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, le modèle de consommation de masse a consacré la séparation des rôles entre producteur.rice.s et consommateur.rice.s. Aujourd’hui  la question se pose de l’évolution de cette frontière notamment grâce, ou à cause, de cette coproduction … C’est au final la question de ce qu’on appelle souvent « l’ubérisation ».


La co.production se matérialise par exemple par l’encaissement automatique en supermarché, gestion bancaire en ligne, participation à des boîtes à idées ou des tests utilisateurs… Les consommateur.rice.s sont de plus en plus sollicité.e.s. La transition numérique renforce cette tendance : beaucoup d’entreprises du numérique fondent leur modèle d’affaires sur la valorisation des données que leur fournissent, consciemment ou non, les consommateur.rice.s.

Le développement de la coproduction soulève nombre d’enjeux en terme de protection de la vie privée, d’emploi, de fiscalité ou encore d’environnement. En effet le développement du numérique et d’internet ont donné une dimension nouvelle à des pratiques de coproduction, de collaboration et de coopération qui en elles mêmes ne sont pas une nouveauté. Ces pratiques et leur développement correspondent à l’aspiration largement partagée d’être associés, de prendre en main ce qui nous concerne et elles traduisent des valeurs, comme celle de partage, de plus en plus reconnues et importantes pour la société. Elles peuvent donner un regain d’intérêt à la notion ancienne de communs.
2016_12_coproduction_numerique-glisseesMais elles produisent aussi de la valeur et la façon dont cette valeur est répartie peut avoir des conséquences redoutables sur notre modèle social fondé sur des financements solidaires et redistributifs : au nom du partage le lien social peut être menacé. Elles peuvent avoir également des conséquences, encore difficiles à mesurer mais sans doute considérables, sur l’emploi et les métiers mais aussi sur le travail et l’organisation de la production, notamment en effaçant  la frontière entre producteurs et consommateurs, entre professionnels et particuliers. Et si pour ces derniers elles semblent leur donner une forme de liberté et des pouvoirs nouveaux, elles peuvent constituer en même temps de redoutables menaces  notamment en ce qui concerne la maîtrise des données  mais  aussi au profilage des utilisateurs et au risque d’enfermement dans des choix préétablis par des algorithmes. Enfin il ne faut pas oublier que le numérique a des conséquences  qui ne sont pas neutres en matière  environnementale.

L’avis voté à l’unanimité moins deux abstentions prend en compte toutes ces dimensions et cherche une voie entre un rejet stérile et l’illusion béate devant une forme de déterminisme technologique. Il trace un cadre et des pistes pour préserver notre modèle social mais aussi protéger le consommateur, et l’emploi, sans pour autant empêcher l’initiative et entraver les possibilités nouvelles offertes par le numérique. Il s’efforce de montrer que les politiques publiques ont un rôle à jouer en la matière.

Cette réflexion est balbutiante encore : ainsi les préconisations sur la fiscalité par exemple ont besoin d’être précisées et débattues pour pouvoir se traduire concrètement,  la question de conséquences sur le contenu du travail a besoin d’être traitée…. Mais  au-delà de ces remarques, des préconisations sont à mettre en exergue tel que « le renforcement  les moyens humains et techniques des services publics et de contrôle concernés pour qu’ils puissent mener les investigations pertinentes dans le champ de l’économie numérique impulser, au niveau de l’État et des régions, ainsi que la mise en place  de programmes de formation et de reconversion professionnelle adaptés à la transformation de l’emploi induite par la transition numérique« .

Enfin de nombreux  travaux du CESE et des CESER  traitent du numérique et de ses conséquences sur la société. Il pourrait y avoir un intérêt pour ne pas dire urgence à les faire connaître, à faire partager les questionnements posés.

Par Eliane Lancette, novembre 2016

Voir l’avis du CESE, ici