La prévention et la lutte contre le décrochage scolaire sont considérées, depuis les années 2000, par l’Europe et la France, comme une priorité forte de l’action publique en raison de ses implications humaines, scolaires, économiques et sociales. Le CESER PACA s’est auto-saisi de cette question à forts enjeux, à l’initiative de la commission lycées. Les deux représentants de la FSU se sont particulièrement investis dans la construction de cet avis.
En effet, en 2016, 98 000 jeunes, âgés de 16 à 25 ans, ont été comptabilisés, en France, comme décrocheurs. Pour rappel, l’Éducation nationale considère comme « décrocheur », tout jeune de plus de 16 ans sorti du système de formation initiale sans avoir obtenu de qualification équivalente au baccalauréat ou de diplôme à finalité professionnelle (CAP/BEP). Dans notre réflexion, nous avons également pris en compte les jeunes âgés de moins de 16 ans repérés en situation de décrochage ou qui sont sortis du système éducatif sans avoir achevé leur cursus scolaire jusqu’en fin de troisième.
Ce flux continuel de jeunes sortis sans diplôme pose le difficile problème de leur insertion sociale et professionnelle tant le diplôme, la qualification, les compétences transversales et la maîtrise des fondamentaux sont aujourd’hui indispensables pour l’accès à l’emploi. Pour preuve, en 2016, le taux de chômage des sortants sans diplôme a atteint 50% contre 24% chez les jeunes de moins de 25 ans. On note également que ces derniers occupent essentiellement des emplois peu pérennes et très peu qualifiés relativement aux emplois occupés par les diplômés.
La prévention et la lutte contre le décrochage scolaire est l’affaire de tous les acteurs de la formation et de l’emploi et la Région doit y prendre sa part en fonction des compétences qui sont les siennes. Pour rappel, la Loi du 5 mars 2014 a transféré de l’État aux Régions, la coordination des Plate-formes de Suivi et d’Appui aux Décrocheurs (PSAD) afin de conduire une politique partenariale en matière de lutte contre le décrochage scolaire.
La mise en œuvre d’une politique régionale efficace de lutte contre le décrochage scolaire doit répondre à un double objectif : former des citoyens autonomes et éclairés et réduire les risques d’exclusion sociale d’un grand nombre de jeunes. Relever collectivement ce défi est la garantie à terme d’un développement économique dynamique et équilibré du territoire et celle d’une cohésion sociale territoriale.
Quelques éléments de constats
Les dernières statistiques concernant la région Provence-Alpes-Côte d’Azur font état d’environ 13 700 jeunes en situation potentielle de décrochage en 2016. A noter que ces jeunes en décrochage en 2016 sont issus pour 48% des lycées professionnels, pour 26% des lycées généraux et technologiques et pour 16% des collèges. Autres données importantes à retenir, sur les 13 700 potentiels décrocheurs, 9 000 jeunes sont de réels décrocheurs qui pour 32% ont déjà une solution, 30% sont pris en charge par les plateformes de suivi et d’appui aux décrocheurs et enfin 33% refusent tout accompagnement ou sont injoignables (soit 2 970 jeunes en 2016).
Le décrochage scolaire est un phénomène complexe qui recouvre des réalités différentes et a des origines très diverses. Il peut avoir pour origine l’école et l’environnement scolaire : mauvaise relation enseignants-élève, difficulté d’adaptation à une pédagogie statique, manque de sens donné aux apprentissages, sentiment d’abandon, préférence pour le monde du travail, orientation subie,… De multiples raisons qui conduisent parfois à un rejet de l’institution dès lors que le jeune ne trouve plus sa place et que le système éducatif traditionnel ne réussit pas à jouer son rôle intégrateur et de réduction des inégalités scolaires.
Les ruptures scolaires relèvent aussi de facteurs familiaux, économiques et sociaux parfois interdépendants et qui peuvent ainsi se combiner. Concernant la région PACA, les travaux de l’INSEE ont ainsi montré une corrélation forte entre décrochage scolaire et origine sociale modeste et conditions de vie des familles.
L’INSEE explique ainsi ce taux élevé : « La fréquence de cet abandon précoce de scolarité est associée à certaines caractéristiques des ménages et de leurs conditions de vie : surreprésentation des familles monoparentales et des familles nombreuses, taux de chômage élevé des parents, précarité des emplois, forte proportion d’adultes sans diplôme… ». Ainsi, les territoires où les difficultés socio-économiques sont les plus élevées sont très souvent ceux dont les jeunes sont davantage qu’ailleurs sans diplôme.
Le travail réalisé par le Céreq en 2016 sur les deux académies de la Région a confirmé l’impact fort des caractéristiques économiques et sociales sur les risques d’échec et de décrochage scolaire des jeunes. Il a pointé particulièrement pour notre région, certains facteurs très discriminants : appartenance à une famille monoparentale, ménages en logement social, faible niveau de revenus …. L’analyse multifactorielle ainsi conduite par le Céreq a permis d’établir une géographie des territoires à risques (voir cartes ).
La forte présence de risques d’échec scolaire s’explique aussi par d’autres facteurs ; le manque d’offres de formations de proximité sur certains territoires mais aussi l’impossibilité pour de nombreux jeunes de se déplacer et de se loger notamment en zones rurales et/ou périurbaines.
Lever les freins à l’accès à la formation : hébergement, logement et mobilité
En 2015, dans le cadre d’un rapport intitulé : « Le logement en internat des lycéens et apprentis dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur », le CESER avait pointé l’importance du logement en internat dans la lutte contre le décrochage scolaire comme dans la réduction des inégalités.
- Optimiser les taux d’occupation (taux d’occupation de 75% en moyenne sur PACA) avec la mise en place d’une gestion coordonnée de l’attribution des lits en internats. Nombreux sont les internats dont les taux d’occupation sont volontairement réduits en raison des coûts de fonctionnement pour les établissements (coût de sécurité et de personnel).
– Favoriser l’hébergement en internats pour les familles les moins favorisées par des coûts d’hébergement qui restent acceptables et maîtrisés. Favoriser l’hébergement en internats de jeunes issus de quartiers prioritaires politique de la ville est aussi une opportunité de mixité sociale.
– Mutualiser les places d’hébergement en internats afin qu’elles bénéficient également aux apprentis.
– Planifier dans le cadre du PPI les besoins de constructions de places d’internats dans les territoires très en tension (Aix-en-Provence, Avignon, le littoral varois et azuréen avec un taux d’occupation moyen de 81%) ainsi que les besoins de rénovations
Dans le cadre d’un avis sur l’accès au logement autonome des jeunes en PACA, le CESER a également préconisé de :
– Soutenir le développement des résidences sociales d’Habitat Jeunes sur les territoires en tension. Celles-ci sont sollicitées de manière croissante pour l’accueil et l’hébergement d’un public scolaire (14%), d’apprentis (22%) et de stagiaires (18%) dont des résidents très jeunes en situation de rupture familiale et qui, de fait, rencontrent des difficultés d’autonomie et d’apprentissage.
– Faciliter l’accès au logement autonome des jeunes en formation.
Concernant l’amélioration des conditions de transport et de mobilité des jeunes, le CESER demande de :
– Mettre en cohérence intermodale les offres de transport régional qui desservent les établissements d’enseignement et de formation dès lors que la Région est autorité organisatrice unique et compétente sur tout le transport scolaire et interurbain (hors métropoles).
En conclusion
Travailler en profondeur des questions permet de constater qu’il faut souvent se méfier des formules chocs des communicants ou des faiseurs d’opinion et bien prendre en compte la réalité et les évolutions. Le décrochage scolaire ne déroge pas à cette règle. Contrairement à des idées reçues, les chiffres montrent une diminution constante et importante du nombre de décrocheurs depuis les années 1970. Plus de 30 % d’une classe d’âge sortait sans qualification dans les années 70 (sans que cela pose vraiment de problèmes) contre 8 % de nos jours. Mais il faut à la fois mesurer l’ampleur exceptionnelle des progrès accomplis et l’aggravation de la situation dans laquelle se trouvent désormais les jeunes sans qualification.
En effet, le diplôme reste le sésame qui permet de s’insérer durablement dans la société. Les dernières études de l’Observatoire Régional des Métiers ou du Centre d’Etudes et de Recherches sur les Qualifications montrent que la formation professionnelle diplômante est un pari gagnant pour l’emploi.
Les personnes qui ont pu suivre une formation diplômante ont un taux de retour à l’emploi de 58% après 2 ans et de 64% au bout de 4 ans. Il faut aussi noter que le retour à l’emploi a deux fois plus de chance de s’effectuer quand la certification est obtenue.
Le décrochage scolaire est multifactoriel. Le sociologue Eric FAVIER explique d’ailleurs que la réponse au décrochage ne peut pas être qu’éducative et pédagogique. Les décrocheurs n’arrêtent pas l’école simplement parce qu’ils ne parviennent pas à faire ce qu’elle attend d’eux. Il y a bien d’autres facteurs qui entrent en ligne de compte: mauvaise orientation, difficultés socio-économiques, troubles médico-psychologiques, enclavement de quartiers entiers, moindre accès à la culture, etc. La plupart du temps, tous ces facteurs se conjuguent et se cumulent et frappent plus durement les jeunes d’origine sociale modeste et issus de familles monoparentales.
Une étude de l’observatoire des inégalités s’attaque à l’idée d’une France championne des inégalités scolaires et montre que l’école reste un puissant levier de promotion sociale pour les classes populaires. Nous avons besoin de plus d’école, mais cela ne peut pas être le seul élément de réponse pour prévenir le décrochage scolaire. L’Education Nationale et à fortiori les enseignants, pas plus que les familles de ces jeunes ou les jeunes eux-mêmes ne peuvent être considérés comme les seuls responsables des situations de décrochage.
Les inégalités scolaires ne sont que le reflet des inégalités sociales et territoriales et c’est bien à l’ensemble de ces inégalités qu’il faut s’attaquer.
Magali Bailleul et Richard Ghis