La réinsertion des personnes détenues

Le gouvernement avait saisi le Cese sur la réinsertion des détenus. L’avis qui répond à cette demande est solidement étayé : à partir de la question posée il porte un regard d’ensemble sur la détention et la politique pénitentiaire et fait une série de préconisations cohérentes et pertinentes

Un premier avis avait déjà été voté en 2006 : il pointait déjà combien la politique pénitentiaire française s’éloignait de ce qui aurait dû être son objectif, une réinsertion réussie des détenus qui évite la récidive. Depuis cette date quelques progrès ont été réalisés : création du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, consécration, par la loi pénitentiaire de 2009, de la mission de réinsertion confiée aux Services pénitentiaires d’insertion et probation (SPIP), renforcement de l’individualisation des peines…;  mais l’on reste loin du compte. Le nombre de personnes détenues n’a cessé de croitre, sans lien avec l’évolution de la délinquance. Moins de 60 000 en 2006, elles sont aujourd’hui près de 71 000. Plus de 20 000 vivent dans une structure pénitentiaire (sur)occupée à plus de 150%. Dans les maisons d’arrêt, où sont incarcérées les personnes condamnées à une peine courte ou en détention provisoire, le taux d’occupation moyen dépasse 138%. Tout cela, conjugué avec le manque de moyens ( un seul conseiller d’insertion et de probation pour 80 personnes sous main de justice) fait que la préoccupation sécuritaire a largement pris le pas sur celle de la réinsertion.

Pourtant tous les prisonniers sortiront de prison un jour et l’avis rappelle un certain nombre de données qui prennent le contre pied de nombre d’idées reçues et montrent la portée du problème. Ainsi 62% des peines sont inférieures à deux ans et 46% inférieures à un an. La récidive atteint 63% pour les sortie sèches alors qu’elle n’est que de 39% pour les personnes libérées en « liberté conditionnelle » et 34% pour celles qui ont fait un travail d’intérêt général. Et la prison produit un certain nombre d’effets désocialisants qui sont autant d’obstacles à un réinsertion réussie : seulement 28% des détenu.e.s peuvent exercer un travail rémunéré et 14% ont bénéficié d’une formation professionnelle alors que pour un.e détenu.e le coût d’un mois en prison s’élève à 200 euros en moyenne  (cantine, télévision, téléphone…) ; ajoutons qu’en 2017 plus de 28% des personnes libérées ne disposaient d’aucun hébergement.

L’avis formule donc quatre grands ensembles de préconisations.

Le premier porte sur la nécessité de reposer devant l’opinion publique les termes du débat, en demandant à la Cour des Comptes une comparaison entre le coût économique et social global de la détention et celui des différentes alternatives, en proposant de conduire des études sur les profils pénaux et sociaux, la situation de santé, les parcours de réinsertion des personnes placées sous-main de justice et en préconisant de fixer un objectif de réduction de la population carcérale décliné dans le ressort territorial de chaque juridiction.

Un second axe est de développer les alternatives à l’incarcération : en faire un objectif de la politique pénale et améliorer leur visibilité via des tableaux de bords listant les places disponible ; utiliser davantage l’assignation à résidence sous forme électronique associée à un suivi socio-judiciaire comme alternative à la détention provisoire ; développer les TIG grâce à des offres plus adaptées à la diversité des situations en simplifiant l’habilitation et la confier aux SPIP , en formant et reconnaissant les tuteurs et en finançant la prise en charge ; instaurer davantage de centres de semi-liberté et atteindre 5000 places en placement extérieur ; et, proposition courageuse d’emblée rejetée par la ministre, rétablir à 2 ans le seuil en deçà duquel l’aménagement de peines est possible.

Troisième axe : donner aux personnes détenues les moyens de leur réinsertion. Cela implique notamment d’ organiser le parcours de peine autour de l’objectif de réinsertion, d’améliorer la prise en charge de la santé des détenus et d’assurer la continuité des soins, avec un bilan de santé dès l’incarcération, d’assurer l’accès aux droits , en particulier le renouvellement des documents d’identité et titres de séjour et de permettre la continuité des liens familiaux. Cela signifie également faire de la formation et du travail des leviers de la réinsertion : le Cese propose ainsi d’établir un contrat de travail spécifique déterminant l’acquisition des droits à l’assurance chômage, la retraite et la formation. Et bien sûr l’avis se préoccupe de l’hébergement à la sortie en préconisant de « mettre en place un référent dans les SIAO (services intégrés d’accueil et d’orientation) , de développer les structures de transition de façon à pallier la problématique des dates de sortie très incertaines et de favoriser auprès des bailleurs sociaux le maintien dans le logement pour les courtes peines ». Enfin il fait des propositions pour donner toute leurs place à la culture et au sport et pour élargir et organiser les droits d’expression des détenu.e.s

Le dernier axe préconise de « consacrer la réinsertion comme un objectif partagé » : cela se traduit en deux préconisations. D’une part « organiser et évaluer la mise en œuvre transversale de la réinsertion: confier la définition d’objectifs et d’indicateurs à un Comité interministériel et leur suivi à un Service national autonome ; instaurer des comités de la réinsertion au niveau de chaque juridiction » ; d’autre part- et c’est important- « accorder à la réinsertion des moyens à la hauteur des enjeux : augmenter le nombre de CPIP pour atteindre les seuils fixés dans les règles pénitentiaires européennes et assurer, dans l’organisation du concours et la formation, une plus grande diversité des profils »

La Garde des Sceaux, présente lors du vote du texte, a affirmé vouloir faire expertiser ces propositions. Le gouvernement aura-t-il le courage de mettre en œuvre cet ensemble cohérent qui prend courageusement le contre pied de nombre d’idées reçues et des blocages qui font de la France un des mauvais élèves de l’Europe en matière de réinsertion des personnes détenues?

Eliane Lancette

Pour en savoir plus et lire l’avis:  ici