Agnès Popelin est membre du Groupe Environnement et nature ; elle siège au titre de France Nature Environnement. Avec Gérard Aschieri, elle a été rapporteur d’un rapport et d’un avis : « Réseaux Sociaux : comment favoriser l’engagement citoyen? »
1) Pourquoi cet avis ? Quel en sont les enjeux ?
Il s’efforce de faire le lien entre deux éléments: l’engagement d’une part, les réseaux sociaux de l’autre. L’engagement citoyen est plus que jamais un enjeu central pour notre société, sa cohésion et la vie démocratique. Contrairement aux idées reçues, il progresse, notamment chez les jeunes. Mais se développent des modalités qui privilégient les micro-mobilisations et les modes d’organisation en réseaux. Et cette évolution va de pair avec le souci croissant de voir les effets concrets de ses engagements.Les réseaux sociaux pour leur part ont connu une diffusion massive en un temps record. Une véritable déferlante.
En 2016, on compte 2,3 milliards d’internautes inscrits sur les réseaux sociaux et 31 millions en France. Leur succès a accéléré l’émergence d’une société de l’opinion. Avec les réseaux sociaux, l’espace public s’ouvre à la prise de parole, à la mobilisation en ligne. Cette appropriation de l’espace public constitue une nouvelle forme de mobilisation et d’expression tant sociale que politique.
Les réseaux sociaux servent aussi au signalement de personnes en détresse lors d’événements dramatiques. Ils sont des outils de collecte de fond et d’entraide locale et ils sont devenus des espaces de productions collaboratives.
Enfin on est passé d’une information diffusée par des professionnels de l’information, à une information surabondante émise par des millions de socionautes sans ligne éditoriale ni hiérarchie. Un tiers des internautes a déjà contribué, commenté ou diffusé de l’information via les réseaux sociaux. Chacun est devenu à la fois récepteur et émetteur de contenus.
C’est pour toutes ces raisons qu’ils constituent des outils puissants qui peuvent être mis au service de l’engagement et les exemples en sont multiples. Nous le montrons dans notre rapport.
2) Mais n’est-ce pas un peu naÏf ? Les réseaux sociaux ont souvent une mauvaise image et suscitent beaucoup de craintes : sont-elles injustifiées ?
Il faut bien voir que les réseaux sociaux sont d’abord des outils parmi d’autres. Il ne faut ni sous-estimer leur potentiel en matière d’engagement ni inversement entretenir l’illusion d’un quelconque déterminisme technologique ni ignorer les biais et risques qu’ils comportent.
Leur modèle économique est fondé sur la collecte et la revente des données de ceux qui les utilisent. On connaît la formule : « quand c’est gratuit, c’est vous le produit » et bien sûr les risques sont réels. Ils ont aussi une empreinte écologique très lourde Les activités dites dématérialisées consomment plus de 10% de la consommation électrique mondiale et génèrent 2% des émissions de gaz à effet de serre, soit l’équivalent du transport aérien civil mondial.
D’autre part le fonctionnement même des réseaux sociaux, les choix « d’amis » ou de « followers » mais aussi les algorithmes qui sélectionnent à notre place les contenus auxquels nous avons accès et suggèrent des personnes à suivre font courir le risque d’un enfermement dans ce que les spécialistes appellent des chambres d’écho ou des bulles de filtres avec un effet dit d’homophilie : on n’échange qu’avec ceux qui nous ressemblent. Il faut savoir également que la diffusion de certains contenus, la « viralité », est souvent faussée par des robots ou des » fermes à clic » qui gonflent artificiellement la visibilité. Donald Trump s’en est beaucoup servi.
Enfin la liberté d’expression, l’absence de contrôle a priori ont leur revers: la prolifération de fausses informations, de calomnies, de propos de haine. Il existe d’ailleurs tout un vocabulaire pour les désigner : fake, hoax, trolls… Ils peuvent faire l’objet de campagnes organisées, ce dont ne se privent pas certaines forces.
3) Que préconisez-vous donc ?
L’usage de ces outils doit être responsable. Et il nous a semblé que la responsabilité des pouvoirs publics était de favoriser l’engagement via les réseaux sociaux, de le reconnaître et surtout de donner aux utilisateurs les moyens de pratiquer et promouvoir ces usages responsables et citoyens.
Il est difficile d’énumérer toutes les préconisations de l’avis : elles portent aussi bien sur la disparition de la double fracture numérique (physique et sociale), l’aide aux initiatives citoyennes sur les réseaux sociaux, leur reconnaissance, le développement des pratiques de participation citoyenne, la responsabilisation des plateformes. Par exemple dans un souci de renouvellement de la participation nous proposons que le CESE travaille à une platerforme publique de pétition. Mais permettez-moi de mettre en valeur deux idées. D’abord l’enjeu essentiel que constituent l’éducation et la formation: l’avis y consacre tout un chapitre central. Ensuite la nécessité impérieuse de continuer à bâtir un droit protecteur en matière de données, en s’appuyant notamment sur la notion de communs. On peut résumer nos propositions en quelques termes : éduquer les utilisateurs, promouvoir les bonnes pratiques, développer la transparence et favoriser l’intérêt général face aux intérêts commerciaux.
Interview réalisée par Noël daucé
Pour lire l’avis et le rapport cliquez ici