Etienne Caniard

Le CESE a adopté un intéressant avis sur les addictions au tabac et à l’alcool. Etienne Caniard, du groupe de la mutualité, en a été un des rapporteurs avec Marie José Auge-Caumont. Il a répondu à nos questions sur cet avis.

1) Pourquoi avoir choisi de traiter dans le même avis les addictions au tabac et à l’alcool? N’y a-t-il pas des différences?

Les drogues se caractérisent par leurs effets psychoactifs sur le cerveau et la dépendance qui en résulte mais aussi par leur statut, drogues légales ou illicites. Les politiques de lutte contre les addictions dépendent moins de la dangerosité des produits que de leurs représentations sociales. Celles ci sont elles mêmes fortement fonction de leur statut. Traiter en même temps tabac et alcool, qui sont les deux drogues légales était donc déjà justifié par cette première caractéristique commune. Mais d’autres s’y ajoutent; elles sont les première et deuxième causes de mortalité évitable, avec 73000 décès par an dus au tabac et 49000 à l’alcool et ces deux fléaux ont un coût social considérable et sensiblement identique pour les deux produits, 120 milliards d’€ chaque année.

Cette proximité dans le statut, les dégâts sanitaires et sociaux ne signifie évidemment pas absence de différences. Celles ci existent dans de nombreux domaines:

  • L’importance de la production d’alcool et particulièrement de vin dans l’économie française, ce qui n’est plus le cas pour le tabac

  • La représentation sociale, très différente qui s’attache à ces deux produits

  • Les politiques menées et les résultats, plus positifs pour le tabac que pour l’alcool.

C’est notamment en s’appuyant sur l’analyse de ces différences et des comparaisons que nous avons pu proposer une stratégie cohérente.

2) Qu’elles sont les grandes lignes de la stratégie que propose l’avis? Quelle est son originalité?

Ce sujet a été l’objet de nombreux travaux, notamment ceux de la Cour des Comptes, unanimement salués pour leur pertinence et l’exhaustivité de leurs propositions. Il n’était donc pas question d’augmenter la hauteur de la pile des rapports, mais de réfléchir, en utilisant la richesse de la composition du Cese, aux raisons de l’échec de la politique de lutte contre les consommations nocives d’alcool comparé aux résultats encourageants récemment enregistrés dans la lutte contre le tabagisme. Nous avons voulu éviter le piège de l’opposition frontale entre une vision “hygièniste” qui fait de l’abstinence la seule réponse … et un déni des dangers de la consommation de ces produits et tout particulièrement de l’alcool. Nous avons donc réfléchi à la manière de fonder les politiques sur la réalité des dommages que sur les représentations et voulu être pragmatiques sans rêver d’une illusoire société sans drogues … qui n’a jamais existé.

Ceci nous a conduit à privilégier une approche de type “réduction des risques” qui a fait ses preuves dans la lutte contre les contaminations, notamment au VIH, chez les toxicomanes, mais qui est étrangement absente des politiques de lutte contre le tabac et l’alcool. Deux exemples en témoignent: les hésitations autour du vapotage … alors qu’une étude vient encore d’être publiée dans le New England Journal of Medicine qui démontre que c’est le meilleur outil pour arrêter de fumer, et la difficulté pour obtenir une autorisation de mise sur le marché pour le Baclofène, médicament imposé par les patients pour faciliter le sevrage de l’alcool.

Au delà nous avons également mis l’accent sur l’urgence d’une rencontre plus précoce avec le soin, notamment par une mobilisation des professionnels de santé de premier recours très en retrait sur ce sujet. Enfin le rôle des lobbies devait être traité, notamment pour éviter la confusion des rôles. Des positions différentes se sont exprimées au sein de notre conseil mais une très large majorité s’est dégagée pour exclure la filière de l’alcool de la définition et de la mise en œuvre de la politique de prévention comme c’est le cas pour le tabac. Il était en effet difficile de penser que les producteurs d’alcool dont 80% des ventes se font à destination des usagers problématiques d’alcool pouvaient sincèrement promouvoir une consommation modérée!

3) Dans le débat certains ont reproché à l’avis de ne pas distinguer le vin des autres alcools; que leur réponds tu?

Le ministre de l’agriculture vient de répéter une fois de plus que le vin n’est pas un alcool comme les autres. Le message reçu à travers de tels propos est celui d’une minoration des dangers d’une consommation excessive d’alcool même s’il s’agit de vin. Bien sûr le vin est différent du Gin, comme la bière est différente du whisky. Mais tous sont des alcools et leur danger réside dans l’importance des consommations et non dans leur nature. Reconnaître l’importance de la filière viticole, de la culture française de la vigne et du vin, le plaisir qui peut s’attacher à une consommation maîtrisée de vin est une chose, banaliser la consommation d’alcool, en faire la norme en est une autre. Il est quand même étonnant que l’on invoque plus souvent la liberté pour défendre la publicité pour l’alcool que pour rappeler que la liberté c’est aussi choisir de ne pas boire!

Par Gérard Aschieri

pour lire l’avis : ici