Tension sur les métiers de la cohésion sociale

Les alertes sur un déficit d’attractivité des métiers de l’action sociale et éducative se sont multipliées notamment au moment de la crise Covid. Si l’attention a surtout porté alors sur les professionnels de santé, il faut noter que les professions de l’action sociale et éducative ont aussi été mobilisées. Manque de reconnaissance, absence de revalorisation… un malaise certain envahit tous ces secteurs. Le CESE a voulu analyser la situation et faire des préconisations. Un rapport et un avis rendus en juillet dernier ont permis de donner des pistes pour rendre ces métiers plus attractifs, redonner la priorité au sens du travail par de meilleures conditions de travail et anticiper l’évolution des activités.

Evanne Jeanne Rose (groupe OEMJ) était le rapporteur de ce travail. Il répond à trois questions.

Qu’est ce qui a amené le CESE à traiter de ce sujet ?

L’année 2021 a vu la crise des recrutements des secteurs sociaux, médico-sociaux et de l’éducation populaire s’aggraver sans pourtant devenir une priorité politique. Entre les alertes des employeurs et les manifestations inédites des salariés, la profondeur du malaise a percé dans l’espace public, avec pour revendication principale l’augmentation salariale et l’amélioration des conditions d’exercice. Le CESE a choisi de traiter de cette crise sous l’angle exclusif des conditions de travail et de l’emploi. Et ce en compléments de travaux menés en parallèle1 avec la participation de professionnels.

Que recouvrent aujourd’hui les métiers de la cohésion sociale ?

Les métiers de la cohésion sociale, dont la finalité éducative est majeure, ont été repérés à partir de la définition du travail social inscrite au sein du CASF. Ce sont donc près de 800 000 professionnels auxquels l’avis s’est intéressé, après un avis du CESE de 2020 consacré aux 800 000 intervenants à domiciles. On parle de l’ensemble des diplômes d’Etat, mais également des diplômes universitaire et ceux issus du champ de l’animation. Ces métiers ont l’habitude d’être traités dans des couloirs de nages. L’enjeux de l’avis a été de mettre en lumière les effets structurels qui les touchent tous tout en indiquant les spécificités quand elles existent.

Quelles sont les principales préconisations faites par le Cese ?

Le rapport du CESE a exploré les mécanismes qui produisent la dégradation du travail et agissent de façon plus profonde sur la désertion du secteur et son déficit d’attractivité. Il a donc traité de la crise du travail au-delà des seules questions d’emploi : transformation et réduction du temps de travail ; mise à mal des collectifs de travail par le turn-over ou l’évolution des pratiques managériales ; survalorisation de l’acte au détriment du travail relationnel ; permanence des stéréotypes et inégalités de genre ; compétences professionnelles réduites à des qualités humaines, une vocation ou un engagement personnel ; sinistralité et dégradation de la santé des professionnels. 

Accélérés par le Covid et l’évolution générale de la société, ces secteurs d’activité vivent un effondrement silencieux. L’augmentation des personnes en poste, et pas seulement les jeunes, qui démissionnent ou préfèrent être en intérim, en CDD ou en auto-entreprenariat est une manifestation du besoin de préserver sa sécurité, sa santé et sa liberté de choix d’espaces de travail afin de garantir un sens au travail. Les réponses gouvernementales n’ont pas convaincu le CESE. Malgré l’aspect positif des revalorisations, celles-ci fragilisent les communautés professionnelles. L’absence d’espaces d’élaboration d’une stratégie d’investissement ne permet pas de construire les conditions d’un renouveau de l’action sociale, médico-sociale et de l’éducation populaire. 

Si le CESE formule un constat sombre du fait d’une réalité qui l’est, il formule 20 préconisations qui s’articulent autour de 3 priorités et permettent d’avancer vers un changement de paradigme. Une première priorité est de répondre à l’urgence et au malaise, d’une part via une campagne de communication qui se base sur la réalité et l’éthique de ces métiers, par l’apprentissage, la poursuite des revalorisations et le renforcement du droit d’alerte sur le situation de maltraitance. Nous ne devons pas au prétexte que nous en sommes en crise, laisser les professionnels en souffrance éthique.

Un deuxième volet de préconisation insiste sur la nécessité de ré-investir dans l’organisation du travail et les conditions minimales garantissant sécurité et finalité éducative. A ce titre le CESE préconise le renforcement des taux d’encadrement et des ratios de personnels qualifiés, de conforter la parole professionnelle et la reconnaissance de leur expertise, enfin une refonte des systèmes de contractualisation et d’évaluation de l’action des professionnels.

Enfin, il faut redonner les moyens aux différents secteurs de trouver des perspectives. Ceci passe d’une part par une refonte du système de gouvernance nationale en créant un espace dédié aux évolutions économiques et donc aux investissements, en renforçant le HCTS et ses déclinaisons locales et d’autre part en ouvrant un espace de délibération scientifique permettant d’éclairer les consensus qui existent. Concernant la formation, le CESE estime que c’est la formation continue, dès l’offre d’adaptation au poste en sortie de formation initiale, qui doit être renforcée. La refonte des référentiels de formation doit permettre de renforcer les niveaux 3 et 4 en priorité, ce qui représentent les effectifs de travailleurs les plus importants.

Je me rends actuellement disponible pour présenter ces préconisations auprès d’acteurs privés ou publics et avancer avec ceux qui veulent expérimenter. Avancer sans attendre l’effondrement définitif du travail social et éducatif.

Pour en savoir plus

1- Rapport Piveteau et livre vert du HCTS