Renforcer la compétitivité de l’agriculture et de l’agroalimentaire français

Cet avis intitulé « Quels leviers pour renforcer la compétitivité de l’agriculture et de l’agroalimentaire Français » et présenté par Jacques Pasquier  au nom de la section de l’agriculture, de la pêche et de l’alimentation est un document dense et riche. Il n’aligne pas moins de 81 préconisations, avec plus d’une dizaine d’axes centraux.

Il faut dire que le contexte appelait un tel document. Car le pays traverse une véritable crise agricole, avec une population paysanne ne représentant plus que 3,4% de la population active (14% en 1968), une transformation qui a bouleversé la sociologie et les paysages depuis 50 ans. Avec une succession de secousses et de scandales (glyphosates), oppositions grandes surfaces/ producteur.rice.s, taux de suicides des agriculteurs, affaire Lactalis….A l’heure également d’une mondialisation accentuée par la mise en œuvre de grands traités internationaux amplifiant le libéralisme (TAFTA, CETA), d’une séquence de construction européenne profondément remise en cause particulièrement dans ses outils de Politique Agricole Commune.

Circonstances auxquelles il faut ajouter des approches des consommateur.rice.s en évolution très importante, allant dans le sens d’un soutien à l’agroécologie, aux produits de qualité, aux respects des normes sanitaires, sociales et environnementales.

La France est le premier pays agricole de l’Union Européenne, « avec la plus grande surface agricole utilisée (SAU) avec près de 28Mha ». « Du début des années 1970 aux années 2015, la production agricole nationale est passée de 65 à plus de 110 millions de tonnes. » Or en 1955, on recensait 2,3 millions d’exploitations agricoles, encore 600000 en 2003, aujourd’hui il n’en reste que 472000 ; 60% des exploitations françaises de moins de 20 ha ont disparu entre 1967 et 1997. « La taille moyenne de la superficie agricole par exploitation est de l’ordre de 60 ha. » On est passé d’environ 10 millions de personnes du secteur agricole en 1945 à moins d’1 million actuellement (hors contrats saisonniers).

Avec un chiffre d’affaire de plus de 171 milliards d’euros en 2016 dont plus de 20% réalisés à l’export, notre pays se situe dans le trio de tête européen pour les industries de transformation agricole avec l’Allemagne et le Royaume-Uni.

Mais « malgré l’importance de son agriculture et de son secteur alimentaire, notre pays n’est pas autosuffisant en matière d’alimentation. » Alors que certaines filières sont excédentaires comme le vin, les spiritueux, les céréales, le lait, le sucre, d’autres filières connaissent de grandes difficultés : par exemple les fruits et légumes, les produits aquatiques, les légumineuses, les produits bios…nécessitant des importations croissantes.

Pourtant «la France reste le premier pays européen exportateur vers les pays hors de l’UE », et la balance commerciale reste toujours excédentaire grâce aux vins et spiritueux, 3 filières concentrant 20 Mde d’excédent commercial : vins et spiritueux, céréales et produits laitiers.

N’oublions pas par ailleurs que « certains choix opérés par l’agroalimentaire français » expliquent notamment qu’en matière de pesticides en 2014 au sein de l’UE, la France utilise 75287 tonnes, la situant au 2ième rang européen en termes de volume.

Cet avis s’articule avec au moins quatre avis rendus par le CESE en moins de deux ans et certaines de ces préconisations devraient être intégrées dans les dispositifs législatifs issus des Etats Généraux de l’Alimentation.

L’importance de cet avis se mesure aux volumes et à la qualité des préconisations qu’il défend.

En premier lieu, sa définition de la compétitivité marque une véritable rupture, avec « celle généralement admise qui se réduit à la notion de prix et de coût de production ». « S’agissant plus particulièrement de l’agriculture et de l’agroalimentaire, la définition de la compétitivité…, doit intégrer la spécificité de l’alimentation par rapport aux autres produits de consommation ».

Ainsi, « s’appuyant sur son avis, de 2011 qui affirmait (qu’elle n’est pas une fin en soi) le CESE estime que la compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires repose sur leur capacité à proposer une alimentation saine et de qualité, répondant aux besoins et attentes des consommateur.rice.s, des citoyen.ne.s et plus largement de la société, notamment en matière de santé, de préservation et de renouvellement des ressources naturelles, à des prix socialement acceptables et dont la valeur produite permet une rémunération équitable du travail ».

Compte tenu du contexte et des définitions précédents, l’avis est organisé autour de « leviers » modifiant structurellement la situation.

-le choix des productions et leurs modes d’élaboration

-les politiques publiques

-la recherche et l’innovation

-les dynamiques territoriales

-les comportements des consommateur.rice.s

Avec des niveaux d’interventions différents : Europe, France, secteur d’activité, territoire, filière, entreprise, exploitation agricole…

C’est un véritable contre-plan que le CESE a adopté face aux politiques agricoles classiques, de productivisme et d’agro-business qui ont alimenté la terrible crise traversée par le monde agricole. Un contre-plan à dimension européenne et internationale.

Il a été adopté par 122 suffrages POUR /32 CONTRE/ 15 ABSTENTIONS. Un vote où se sont exprimées l’opposition et les réticences des grandes organisations dominantes du secteur agricole.

Noël Daucé

pour lire l’avis : ici

 

Quelques extraits significatifs des préconisations :

« Le CESE préconise l’utilisation des leviers économiques, politiques et sociaux pour redynamiser les filières déficitaires en termes de satisfaction des besoins intérieures, en métropole comme en outremer, …particulièrement ceux issus de production biologiques. »

« Les incertitudes concernant le budget et les évolutions de la future réforme de la PAC, notamment liées au Brexit, font craindre de grandes difficultés pour les agriculteur.rice.s concernées ».

« Il est indispensable que de véritables stratégies de filières soient mises en place afin que les agriculteur.rice.s et leurs organisations économiques soient en mesure d’adapter leurs productions pour répondre aux évolutions des comportements alimentaires des consommateur.rice.s. Il est aussi préconisé : « la mise en place d’une véritable politique d’installation d’agriculteurs, avec facilitation d’accès au foncier et renforcement des aides, en particulier pour les productions biologiques déficitaires ».

« Plutôt que de tenter de concurrencer le plus souvent en vain, des pays ayant des coûts de production plus faibles notamment car ils ne respectent pas les mêmes niveaux d’exigence que la France, le CESE préconise de rechercher la différenciation, la segmentation et le cas échéant la montée en gamme de produits destinés à l’exportation… ».

« Déplorant la diminution des emplois en agriculture et reprenant une préconisation formulée dans son avis de 2016 sur (la transition agroécologique) le CESE souhaite que soit substituée à la logique actuelle de soutiens indifférenciés à l’hectare de la PAC, un système favorable à l’intensité en emploi de qualité des exploitations agricoles et de l’ensemble des filières ».

Toujours en référence à cet avis de 2016, « le CESE souhaite que soient encouragées et soutenues par des dispositifs nationaux et européens, les pratiques agroécologiques et biologiques aux regards des aménités qu’elles fournissent et des qualités sanitaires et nutritionnelles renforcées de leurs productions. (Objectif de réduction des pesticides de 50% en 2025…).

Le CESE demande « un traitement particulier pour les produits alimentaires dans les règles du commerce international (OMC) et dans les accords commerciaux internationaux (CETA, TAFTA). L’intégration des normes sociales et environnementales dans les accords bilatéraux de commerce ; la reconnaissance et l’affirmation dans tous les Traités, chartes… conclus aux niveaux européen et international, du droit pour chaque travailleur.se agricole…de vivre dignement de son travail. Le respect de la souveraineté alimentaire de chaque peuple ».

« Le CESE souligne la nécessité de disposer de services de contrôle publics donc indépendants à même d’exercer leurs prérogatives face à la puissance notamment juridique dont disposent les grands groupes internationaux. Il préconise de mieux coordonner les services de contrôle des différents Etats-membres … ».

Rejoignant une proposition formulée lors des EGA, le CESE demande de rétablir « la logique lors des transactions commerciales, en confiant aux producteur.rice.s notamment laitier.ère.s la responsabilité de proposer aux transformateurs et aux distributeurs, leurs conditions générales de vente ».

Pour le CESE, « il est possible de faire évoluer la PAC vers plus de territorialisation en prenant en compte la physiologie des espaces naturels, agricoles et aquacoles ». Il souligne « les dangers que représenterait une trop forte augmentation de la subsidiarité entre les Etats-membres dans la PAC… ».

Le CESE « souhaite que soient maintenues les soutiens à l’agriculture biologique à la fois pour la conversion et le maintien des exploitations en mobilisant les ressources de la PAC et des budgets nationaux… ».

Réitérant son avis de 2016, « il souhaite qu’une part conséquente des soutiens à la PAC soit destiné à l’aide alimentaire qui doit être apportée à tous les foyers à revenus faibles pour l’achat de denrées écologiques ».

Reprenant également une préconisation de son avis sur « la bonne gestion des terres agricoles, le CESE est favorable à l’adoption d’une loi, éventuellement constitutionnelle, affirmant dans le respect des droits de propriété ou d’usage,…, de considérer le sol, au même titre que l’eau et l’air, comme un patrimoine commun de l’Humanité, facteur de lutte contre le changement climatique et de souveraineté alimentaire ».