Jean Jouzel

Jean Jouzel est climatologue, directeur de recherche émérite au CEA, ancien vice président du groupe scientifique du GIEC. Membre du CESE depuis 2010 en tant que personnalité qualifiée, il a été rapporteur avec Agnès Michelot d’un avis voté le 27 septembre 2016 et intitulé «  La justice climatique : enjeux et perspectives pour la France »

 

1) Pourquoi cet avis sur la justice climatique ? Sur quelle analyse se fonde-t-il ?

On peut se réjouir du succès de la COP21 mais il faut bien voir que même si le réchauffement climatique est limité à 2° C il aura des conséquences notables : notre société devra s’adapter avec le risque de voir s’accroître les inégalités. D’autre part les mesures prises pour limiter la production de gaz à effet de serre pourront avoir des conséquences sur l’emploi et l’activité économique dans certains secteurs et territoires avec là encore des risques de voir progresser les inégalités.

Or il existe une différence importante entre les mesures de réduction des gaz à effet de serre et ce qui serait en fait nécessaire : si cette différence n’est pas rapidement corrigée le réchauffement moyen pourrait atteindre 3°C ou 3,5°C d’ici la fin du siécle. Si cela se produit il y aura des impacts majeurs ; les problèmes que nous connaissons déjà, canicules, sécheresses, précipitations, cyclones…seraient amplifiées ; les conséquences en matière de santé seraient considérables avec le développement de certaines pathologies ; des pans entiers de notre économie seraient touchés et certaines territoires seraient particulièrement vulnérables, en métropole et surtout dans les territoires ultramarins. Comme le dit l’avis « nous entrerions dans un autre monde »

 

2) Que signifie cette notion de justice climatique ?

Elle part du constat que les conséquences du réchauffement climatique ne sont pas identiques pour tout le monde. Le GIEC avait déjà avancé cette notion. Elle s’applique à l’échelle planétaire mais aussi au sein de pays développés. Au plan international on sait qu’un certain nombre de pays, souvent les plus pauvres, risquent d’être plus touchés que les autres, avec un risque d’accroissement des inégalités. Mais on sait aussi que dans les pays développés les plus démunis risquent d’être bien plus affectés que les autres alors que leur responsabilité dans ce réchauffement est bien moindre. ; C’est le cas par exemple en matière de santé, d’emploi ou de logement. Une étude de 2011montre que les 20% des ménages les plus modestes produisent 11% des émissions de CO2 alors que c’est 29% des émissions pour les 20% de ménages les plus aisés..

C’est autour de cette réalité qu’avec ma collègue juriste, Agnès Michelot, nous avons – au titre de la section environnement du CESE – préparé cet avis sur les enjeux et les perspectives de la justice climatique dans notre pays. L’objectif de la justice climatique c’est de tout faire pour que le réchauffement climatique n’y accroisse pas les inégalités.

 

3) Quelles propositions donc ? Comment traduire cette exigence en politiques publiques ?

Pour cela l’avis préconise un ensemble de mesures : l’idée centrale est que les diverses politiques publiques, par exemple politiques de santé, plan national d’action pour le climat, intègrent la question des inégalités qui doit être une préoccupation transversale. Nous proposons la mise en place de véritables services climatiques.. De même nous proposons que le système d’assurances soit revu pour permettre plus de solidarité dans les cas de catastrophes dites naturelles. Parmi ces mesures je veux insister en tant que chercheur sur le rôle de la recherche pour mieux connaître le lien entre pauvreté et réchauffement climatique et évaluer les conséquences possibles de ce réchauffement climatique en termes d’inégalités sociales, et d’emplois : il y a dans tous ces domaines beaucoup de connaissance qui manquent.

Enfin au plan international si l’accord issu de la COP21 mentionne ce concept de justice climatique, ce n’est que de façon marginale : nous préconisons donc que pour la COP22 qui va s’ouvrir la France soit porteuse de l’exigence que la justice climatique soit au cœur des accords climatiques.

De façon générale l’avis considère qu’il s’agit de changer de modèle : comme l’a dit la représentante de la Confédération Syndicale Internationale, Annabella Rosemberg, il faut remettre en question le modèle économique actuel qui ne répond ni aux attentes sociales ni aux attentes environnementales et est source d’injustices. Le changement climatique implique une transformation du modèle productif en veillant à ne pas aggraver la situation des plus fragiles.

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