Allain Bougrain Dubourg

Le CESE a, en septembre dernier, adopté un avis permettant de faire un bilan de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Il est écrit que «Globalement, au vu des données disponibles, le CESE constate, que non seulement la « reconquête » n’est pas amorcée mais qu’au contraire le déclin se poursuit, les outils créés par la loi étant demeurés, à ce jour, largement virtuels. ». Allain Bougrain Dubourg en a été un des deux rapporteurs

1) Quelles sont selon-vous les principales insuffisances dans la mise en œuvre de cette loi?

La loi ne démérite pas. On peut même considérer qu’elle a enrichi les textes règlementaires qui faisaient défaut depuis… 1976, première grande loi de protection de la nature. De là à la nommer « loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages », c’est avoir fait preuve à l’époque non pas d’ambition, mais de prétention. Chacun savait, en effet, que la reconquête ne serait pas au rendez-vous et c’est ce que l’on vérifie malheureusement quatre ans plus tard. Pire, on n’a pas stabilisé le déclin qui continue de s’aggraver. Au regard du titre de la loi, on assiste donc à un échec. Cela dit, le constat ne signifie pas la médiocrité des textes. En fait,l’outil est bon mais l’exécutif n’a pas su ou, pire, pas voulu, s’en servir comme il conviendrait. Tout au long de nos travaux, nous avons constaté des faiblesses (le mot est pudique!) dans la mise en œuvre de la loi. C’est d’autant plus regrettable que la loi a représenté un travail considérable qui s’est étalé sur près de 2 ans ½ afin de produire 174 articles. Faute de pouvoir analyser cette somme de textes, nous avons choisi de nous concentrer sur la séquence ERC (éviter, réduire, compenser) , sur l’artificialisation des sols, sur l’accès aux ressources génétiques et le partage des avantages et enfin sur la gouvernance.

2) Que préconise le CESE pour renverser cette donne ?

Très franchement, il faut un changement radical de paradigme si l’on veut inverser la tendance actuelle. Cela demandera du courage et de la détermination mais c’est la seule voie envisageable. Le récent rapport de l’Union Européenne, comme le bilan de l’IPBES, soulignent, en substance, qu’il faut impérativement revisiter l’agriculture intensive et son cortège chimique, ce qui paradoxalement, ne semble pas être suffisamment pris en compte dans l’élaboration de la future PAC. La situation d’une artificialisation galopante est également très préoccupante. Elle représente jusqu’à 60 000 hectares de béton et d’asphalte qui rongent, chaque année, les terres agricoles et naturelles. Le rythme n’est pas durable. Conscient de la situation, le Ministère de la Transition Ecologique semble faire de ce dossier une priorité et c’est une bonne chose. L’assèchement des zones humides, les espèces invasives, les pollutions multiples et évidemment le réchauffement climatique s’ajoutent à la pression qui affecte la biodiversité aujourd’hui. Le chantier est considérable.

3) Quels sont les leviers possibles en terme de gouvernance ?

Si la question climatique est rentrée dans les consciences, il semble que le déclin du vivant ne soit pas encore perçu comme il conviendrait. Pourtant, il est avéré que 40 % de l’économie mondiale repose sur les services rendus pas la nature (pollinisation, forêts, ressources halieutiques, santé, tourisme, etc…). Or, ces services sont en déclin de 60 % ! C’est, par ailleurs, une certaine forme de maltraitance de la nature qui a conduit à la Covid 19. On voit donc l’importance de la biodiversité (sans compter que nous avons aussi un devoir éthique à son égard …). Les leviers d’actions appartiennent prioritairement à l’état et aux collectivités (les citoyens peuvent directement agir contre les gaz à effet de serre, cela paraît beaucoup moins facile pour la biodiversité). Au niveau de l’état, nous recommandons de renforcer les compétences biodiversité du Conseil de Défense Ecologique et de rapprocher le GIEC et l’IPBES pour qu’ils réalisent un rapport commun sur la biodiversité. Il faut, par ailleurs, orchestrer une coordination plus efficace entre les objectifs nationaux et les actions des territoires. Une partie de la taxe d’aménagement des espaces naturels sensibles pourraient y contribuer, notamment en soutenant les régions qui ont initié des agences régionales de la biodiversité. Il faut également espérer que l’Office Français de la Biodiversité puisse s’épanouir avec les moyens conséquents à lui attribuer. L’éducation et le soutien aux associations de protection de la nature et à la recherche contribueront également à la résilience. La stratégie pour la biodiversité qui se dessine pour les années à venir pourrait être porteuse de l’ambition qui s’impose aujourd’hui.

Par Bernadette Groison

pour en savoir plus et lire l’avis : ici