Rapport Annuel sur l’Etat de la France 2016 : un regard et des propositions pleins d’intérêt

Le rapport annuel sur l’état de la France est un exercice régulier dévolu au CESE, issu de la loi organique définissant les fonctions du Conseil. Lors des années précédentes, divers types de rapports ont été expérimentés, parfois sans grand succès. Mais cette année, il a fait l’objet « d’une refonte profonde »  à partir de dix nouveaux indicateurs retenus par le gouvernement à la suite d’un travail conjoint de France Stratégie et du CESE.


 

L’avis a été présenté par Pierre Antoine Gailly et Benedict Donnelly au nom de la section de l’Economie et des Finances avec des contributions des autres sections. Par-delà son titre générique « Croire toujours en la France » (qui pourrait faire penser à une injonction d’un impérieux optimisme), il dessine un paysage assez sévère avec des éléments de contraste important. Il fournit une grille d’analyse à partir de constats contrastés et élabore des préconisations immédiates pouvant influer « sur les arbitrages budgétaires de l’année suivante »  et des perspectives à plus long terme.

Les dix indicateurs aident à préciser la silhouette générale du pays au-delà des constructions statistiques habituelles. Certains sont relativement classiques : taux d’emploi, endettement, inégalités de revenu, taux de sorties précoces du système scolaire, espérance de vie en bonne santé, .. D’autres plus novateurs : effort de recherche, taux de pauvreté en conditions de vie, satisfaction dans la vie, empreinte carbone, artificialisation des sols. Ils demandent à être enrichis chaque année.

2016-05_rapport_etat_franceIl est nécessaire de lire les développements sur chaque indicateur pour s’en faire une idée plus précise mais on peut relever par exemple les propositions fortes en matière de recherche : le rapport pointe l’insuffisance de l’effort financier et les lacunes du Crédit Impôt Recherche et préconise, tout à la fois, « une augmentation notable des moyens dédiés aux organismes publics de recherche… » et « une politique efficace pour inciter la sphère privée à un investissement bien plus conséquent », affirmant « l’urgence d’un sursaut » en faveur de notre potentiel scientifique et technologique.

Autres exemples : l’affirmation que l’assurance chômage doit jouer un rôle contracyclique, ou l’insistance sur la nécessité de politiques éducatives qui assurent la réussite de tous sans pour autant oublier que  « l’école ne peut bien sûr être dissociée de son contexte socio-économique » et que « l’action doit donc porter simultanément sur tous les champs (géo spatial, économique, social, culturel) ».  On peut citer encore l’idée qu’il faut prendre en compte les déterminants économiques, sociaux et culturels en matière de santé. On y apprend également que  « la France se classe parmi les 11 pays où la part d’habitants se déclarant heureux est minoritaire ».

Le rapport  se montre également critique sur la façon dont certains de ses indicateurs sont conçus, ou sur les données disponibles. Ainsi pour l’empreinte carbone, il souligne les imprécisions de l’indicateur et formule le reproche que, limité aux émissions françaises, il ne fait pas apparaître ni l’état des flux entre pays membres, ni la dimension infranationale, ni la situation des sociétés multinationales… Par ailleurs tout au long du rapport, courent de nombreuses observations sur les inégalités entre les hommes et les femmes.

Toute la démarche du rapport est guidée par une idée force : « la confiance dans les décideurs publics comme privés ne se décrète pas. Elle doit s’appuyer sur des preuves tangibles notamment sur l’objectivité des diagnostics et des évaluations, sur la fiabilité des interlocuteurs et sur l’exemplarité des dirigeants ».

Au CESE, le 14 juin 2016

Au CESE, le 14 juin 2016

Cet avis, très intéressant, demande à être pris en compte et suivi d’effets. Or le RAEF 2014 qui proposait notamment un élargissement de l’assiette de l’impôt sur le revenu et de sa progressivité, et qui soulignait par ailleurs la nécessité de modifications profondes des modes d’extension de l’habitat individuel, est resté lettre morte. Il en était déjà de  même pour l’avis de 2011 (assurer l’avenir de l’assurance maladie) dans ses préconisations sur les qualités de l’emploi et leurs conséquences multiples, …

Il y a donc urgence à ce que les politiques, à la veille d’échéances cruciales, tirent toutes les conséquences nécessaires de ces travaux qui expriment un large accord au sein de la société civile. Urgence aussi que les organisations syndicales et associatives s’en emparent dans le débat public.

 

Par Gérard Aschieri et Noel Daucéjuillet 2016

 

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Ce qu’en disent les deux rapporteurs (vidéo)

Le rapport à télécharger (pdf)

 

Pour celles et ceux qui n’auraient pas le temps de lire la totalité du rapport, en voici un « digest » avec -pour chacun des indicateurs-ce qu’il nous a paru essentiel de noter.

 

Premier indicateur : le taux d’emploi.

Sans surprise, il pointe les spécificités du chômage en France avec des taux d’emploi très faible « aux deux extrémités de la vie active « (les jeunes et les seniors), et avec « une intégration dans l’emploi en moyenne tardive et souvent difficile ».

Le taux de chômage a poursuivi sa croissance en 2014, Toutefois cet indicateur mériterait d’être complété par des mesures plus précises du sous-emploi et de la dualité de l’emploi salarié, de l’extension de la précarité.  La durée moyenne des CDD est tombée à 26 jours en 2011et celle des missions d’intérim est inférieure à 2 semaines. Déjà en 2010 les données de l’ACOSS sur les déclarations uniques d’embauches, révélaient que sur 19 millions de celles-ci, 12 millions étaient des recrutements de moins d’1 mois, 4 millions des CDD supérieurs à 1 mois et seulement 3 millions des CDI ! (cf. l’avis du CESE « Pôle Emploi et la réforme du service public de l’emploi », juin 2011, rapporteur Daniel Jamme).

A noter que le CESE « considère qu’il est nécessaire, dans un contexte de très faible croissance et de chômage élevé, que l’assurance chômage puisse jouer un rôle contra-cyclique et que l’investissement dans la formation des demandeurs d’emploi constitue une priorité ».

 

Deuxième indicateur : l’effort de recherche

La situation du pays en matière de recherche et développement est particulièrement préoccupante puisqu’on assiste à « un décrochage critique ». « L’objectif de recherche fixé à 3% du PIB n’est pas atteint et se situe bien en deçà des pays leaders en la matière ». « Cela suppose une augmentation annuelle de l’effort de recherche dix fois plus rapide qu’aujourd’hui ».

Le crédit impôt recherche est pointé du doigt puisque son efficacité suscite des interrogations « au regard de la lente progression du niveau des dépenses R et D ». Les stratégies industrielles souvent axées sur le court terme, et la stratégie de certains groupes internationaux avec des pratiques d’optimisation fiscale suscitent les critiques.

Il est préconisé, à la fois, « une augmentation notable des moyens dédiés aux organismes publics de recherche » et « une politique efficace pour inciter la sphère privée à un investissement bien plus conséquent ». Il s’agit de « l’urgence d’un sursaut » en faveur de notre potentiel scientifique et technologique.

 

Troisième indicateur : l’endettement

Loin de beaucoup de déclarations médiatiques, il est précisé que « la dette est nécessaire au financement de l’économie permettant de financer tous types d’investissements et de développements, matériels ou immatériels ». Le poids de l’endettement s’est « fortement accru avec la récession de 2009 et se situe à 95,7% du PIB fin 2015 ». Le taux d’épargne des ménages est « en hausse à 15,4% de leurs revenus en 2015, le réflexe de précaution prévalant ».

Enfin le taux de marge des entreprises s’est légèrement amélioré suite » notamment aux effets du CICE ». Le CESE souligne également que « les politiques de distribution aux actionnaires ne devront pas obérer la capacité des entreprises à se développer ».

 

Quatrième indicateur : l’espérance de vie en bonne santé

« L’espérance de vie sans maladie chronique a plutôt augmenté en France, alors qu’elle stagne en Europe ». Les observations essentielles en ce domaine sont « les différences persistantes selon la catégorie sociale » provoquant des inégalités. « Au milieu des années 2000, un homme cadre de 35 ans peut espérer vivre encore 47 années et les ouvriers 41 années. L’écart étant deux fois moindre entre les femmes cadres et les ouvrières respectivement 52 et 49 ans (…) Les écarts sont également liés au lieu de résidence (rural, villes moyennes ou grandes villes) , au statut (salarié , non salarié) , à la pauvreté ».

Il est donc nécessaire de « prendre en compte les déterminants sociaux, économiques et culturels dont l’influence sur l’état de santé des populations est plus forte que celle des comportements personnels ou les soins médicaux ».

 

Cinquième indicateur : satisfaction dans la vie

Critère nouveau, il peut se résumer en quelque sorte à « un indicateur du bonheur ». Les facteurs qui pèsent fortement à la baisse sont bien sur le chômage, la pauvreté, les difficultés matérielles. La santé joue également un rôle particulier ainsi que l’âge. La satisfaction dans la vie est « élevée pour les jeunes, en baisse vers 45 ans pour remonter jusqu’à 65 ans et redescendre ensuite ». Mais l’élément essentiel est que « la France se classe parmi les 11 pays où la part d’habitants se déclarant heureux est minoritaire. « La France et l’Italie présentant en Europe les plus bas taux de satisfaction à l’égard de la vie, du bonheur, de la satisfaction politique et de la confiance ». Le niveau de confiance dans autrui est « plus faible en France que dans la majorité des pays européens » et cela s’accompagne « d’une plus grande défiance vis-à-vis des institutions, des décideurs et des entreprises et rend plus difficile le dialogue social et sociétal et l’adoption des réformes ».

 

Sixième indicateur : inégalité des revenus

Les inégalités des revenus ont connu un accroissement continu de 1996 à 2012, hormis une courte période de 2000 à 2003. « Ce mouvement est produit par l’augmentation marquée des hauts revenus ».

« Dans les comparaisons internationales, la France ressort comme un pays ayant une distribution des revenus globalement moins inégalitaire que la moyenne, après effet des politiques redistributives en vigueur (sociales et fiscales). La France se situe très en deçà de la moyenne européenne ».

Toutefois l’avis souligne la nécessité de mieux définir les indicateurs complémentaires d’inégalités des revenus afin de permettre de mieux mesurer « l’efficacité du système de redistribution français au regard des formes contemporaines de pauvreté : familles monoparentales, d’origines étrangères, vivant en zones périurbaines, rurales, etc.… ». « Il conviendrait, également, d’objectiver, par des indicateurs adéquats, les difficultés rencontrées par les classes moyennes ».

 

Septième indicateur : pauvreté en condition de vie

Le seuil de pauvreté monétaire est défini au plan européen comme égal à 60% du niveau de vie médian constaté dans chaque pays. Il était en France de 1000 euros par personne vivant seule et de 1500 euros pour un couple en 2013. Le taux de pauvreté en conditions de vie est très inférieur en France (12%) à la moyenne des taux constatés en Europe (19,6%). Avec des écarts entre pays importants de (24%) en Italie à (4%) en Suède. « Ces écarts pourraient s’expliquer notamment par des services publics fournis à titre gratuit ou par des tarifs différenciés pour certaines prestations ».

L’avis convient que son « analyse » est « trop succincte pour un problème essentiel », mais préconise la segmentation des politiques avec ciblage sur les populations les plus fragiles : « les jeunes (extension de la garantie jeunes) et les familles monoparentales ».

 

Huitième indicateur : taux de sortie précoce du système scolaire

Il s’agit de mesurer le taux de sorties précoces du système scolaire, c’est-à-dire les jeunes de la classe d’âge 18-24 ans qui ne poursuivent plus ni études, ni formation, n’ont ni CAP, ni BEP ni diplôme de niveau plus élevé. La moyenne européenne en 2013 de sortie précoce est de 12%, le taux pour la France est de 9,5%.

Toutefois « la France se caractérise par un écart important entre les élèves qui réussissent et ceux en difficulté scolaire, cet écart s’accroit ». Entre un cinquième et un quart de ces résultats sont imputables aux origines socio-économiques des élèves contre 15% en moyenne dans l’OCDE. « De plus pour la première fois en 2012, la part des élèves qui réussissent est en recul ». « Le système français est encore plus discriminant pour les enfants issus de l’immigration qui affichent des résultats inférieurs de 37 points par rapport aux autres jeunes ». Or plus le diplôme est élevé plus le taux de chômage est bas.

Pour le CESE, il convient donc de mettre en œuvre et d’accentuer les politiques éducatives susceptibles de permettre la réussite de tous les élèves, compte tenu du poids des inégalités sociales, économiques et culturelles de départ qui pèsent plus lourdement en France.

En conclusion le CESE : « rappelle que l’école ne peut bien sûr être dissociée de son contexte socio-économique. Pour briser l’engrenage infernal des inégalités, l’action doit donc porter simultanément sur tous les champs (géo spatial, économique, social, culturel). A cet égard la politique de mixité sociale doit être poursuivie et amplifiée ».

 

Neuvième indicateur : l’empreinte carbone

Après avoir salué la création de cet indicateur constituant « un progrès significatif », le CESE est tout à fait critique sur les imprécisions qui le frappent. « L’empreinte carbone est le produit de l’agrégation d’un grand nombre de données (…) L’indicateur doit tenir compte à la fois des émissions sur notre territoire et celles dues à nos importations. Les données devraient faire apparaitre de manière différenciée les émissions de gaz à effet de serre associées aux importations, celles de la production nationale, ou celles de provenance directe des ménages ».

La deuxième interrogation du CESE porte sur le fait que, limitée aux émissions françaises, l’indicateur ne fait pas apparaitre l’état des flux entre pays membres, ni la dimension infranationale ni la situation des sociétés multinationales.

Enfin il pointe la carence dans l’actualisation des données, puisque le CESE n’a disposé que « de chiffres provisoires remontant à 2012 », un indicateur pour 2014 étant absent.

La critique se fait sévère : « l’exécutif devrait prendre appui sur ce qu’il indique de la situation de la France pour agir de manière volontaire, afin d’infléchir la trajectoire suivie dans les domaines qui le nécessitent, plutôt que de s’en servir pour justifier a posteriori son action ».

 

Dixième indicateur : l’artificialisation des sols

Encore un progrès constitué par la présentation de cet indicateur. « La France se situe avec 5,8% d’artificialisation des sols, à un niveau d’artificialisation relativement élevé, supérieur à la moyenne européenne » (à 4,6%). Déjà en 2012, la Commission européenne soulignait que : « l’artificialisation dues à l’urbanisation et au développement des infrastructures a progressé deux fois plus rapidement que la population et, de toute évidence, cette tendance n’est pas viable à long terme ».

« En France, les sols artificialisés continuent de s’étendre. Ils concernent 490000 hectares supplémentaires entre 2006 et 2014, soit 60000 hectares par an en moyenne ». « Les espaces agricoles occupent encore pour l’instant la majorité du territoire (51%) ». « Cette évolution de long terme est préoccupante ( … ) Les causes de ce phénomène sont relativement stables, la première étant l’extension de l’habitat individuel , la deuxième celle des réseaux routiers, le développement des infrastructures et des centres commerciaux en périphérie urbaine ».

L’indicateur selon l’avis pourrait préciser « les niveaux de l’imperméabilisation, de la biodiversité et de la fixation du carbone ».

 

S’agissant du thème transversal des inégalités entre homme et femmes, le rapport ne constate pas une remise en cause post crise, «de la convergence entre les taux d’emplois », mais « le faible degré de mixité professionnelle est une réalité ». Le déséquilibre est globalement plus marqué pour les professions considérées comme les moins qualifiés. En France, près de la moitié de l’emploi féminin est concentrée sur dix métiers dont la plupart comportent une dimension d’aide ou de soin aux personnes.

Les femmes sont quatre fois plus nombreuses à travailler à temps partiel que les hommes. « Les femmes gagnent en moyenne 18% de moins que les hommes (… ) Les classes moyennes sont les plus touchées par les inégalités de rémunérations entre les hommes et les femmes ».

Par ailleurs les familles monoparentales, dans la très grande majorité avec une femme comme chef de famille sont les plus marquées par les inégalités de revenus et la pauvreté.