Nasser Mansouri Guilani

A la fin de la mandature précédente, le CESE a voté à l’unanimité un avis sur l’évaluation des politiques publiques. Un sujet rarement abordé et pourtant essentiel en termes de démocratie mais aussi de confiance dans les politiques publiques. Le rapporteur de cet avis  était Nasser Mansouri Guilani, membre du groupe CGT au CESE et responsable du Pôle économique  de sa confédération.  Nous l’avons invité à nous en parler

1) Tu a été le rapporteur d’un avis sur l’évaluation des politiques publiques qui a été voté de façon unanime par le CESE : qu’est ce qui t’a conduit à traiter ce sujet et dans quelle perspective l’as tu fait ?

Le rôle de l’Etat est déterminant, comme le montre la crise en cours. Or, les politiques publiques sont souvent critiquées, surtout par les libéraux. Paradoxalement, ces derniers acclament certaines politiques coûteuses. Par exemple, ils applaudissent les exonérations de cotisations sociales, alors que leurs effets sur l’emploi sont pour le moins dérisoires eu égard aux sommes en jeu : 20 milliards d’euros par an. La plupart des organisations syndicales demandent, depuis plusieurs années déjà, une évaluation impartiale et objective de cette politique.

Par ailleurs, l’évaluation est souvent mal comprise par les responsables politiques et les organismes et agents chargés de la mise en œuvre des politiques publiques. De plus, le sujet demeure assez éloigné des citoyens, ce qui ne favorise pas la démocratie.

Cet ensemble a motivé ce travail.

 

2) Quelles sont les préconisations qui te semblent les plus importantes?

Ni contrôle, ni audit, ni réforme de l’Etat, ni évaluation individuelle d’agents, l’évaluation est une appréciation portée sur une politique publique donnée, un outil pour mesurer ses effets directs et indirects, pour l’améliorer le cas échéant et surtout pour rendre compte aux citoyens des résultats obtenus.

Dans cette perspective, l’avis fait trois séries de propositions.

  • La première vise à accroître la crédibilité et la légitimité de l’évaluation. Le processus évaluatif doit être impartial et objectif. Cela suppose une approche plurielle et multidisciplinaire et l’association de l’ensemble des parties prenantes : responsables politiques, agents, bénéficiaires et chargés d’évaluation. Il faut aussi veiller à la définition de l’objectif de l’évaluation et à la construction des indicateurs à partir desquels la politique est évaluée.
  • La deuxième série concerne les pratiques évaluatives. Il est impératif de diffuser une information fidèle et impartiale de l’évaluation et d’organiser des débats autour de ses conclusions. Il est aussi nécessaire de traduire les conclusions dans la décision politique. La pluralité des acteurs nécessite d’établir une coordination, au moins au niveau des instances publiques et constitutionnelles. Enfin il faut sensibiliser et former les acteurs, surtout à l’échelon territorial.
  • La troisième série concerne le CESE, et par extension les CESER. La spécificité de ces instances est qu’elles rassemblent la « société civile organisée ». La pluralité de points de vue au sein de ces instances est un atout pour développer une culture de l’évaluation des politiques publiques. Le CESE et les CESER réalisent en fait une sorte d’évaluation des politiques publiques. Cette dimension évaluative pourrait être renforcée et explicitée. Le CESE peut aussi contribuer aux travaux évaluatifs d’autres instances. Ainsi, il pourrait apporter une vision plurielle dans les comités de pilotage et enrichir la réflexion sur les indicateurs et leur interprétation. On peut inviter chaque année le Premier Ministre au CESE pour échanger sur les suites données par le Gouvernement aux différents avis. La même procédure pourrait être établie au niveau des régions, impliquant les CESER et l’exécutif régional. On propose aussi que soit organisée, par exemple tous les trois ans, une « conférence prospective et d’évaluation » rassemblant responsables politiques, représentants de salariés et d’employeurs et autres composantes de la « société civile organisée », où on fixe quelques objectifs et on définit les moyens pour y parvenir, chaque acteur assumant ses responsabilités. A la conférence suivante, on examine le résultat, on ajuste si nécessaire et on essaie d’aller plus loin.

 

3) Selon toi quel est l’intérêt de cet avis pour des syndicalistes ? Quel usage des militants peuvent ils en faire ?

La démocratie est un enjeu central pour le syndicalisme. Les propositions de cet avis vont dans le sens d’une amélioration des mécanismes démocratiques et visent à restaurer la confiance dans les actions et les décisions politiques. Elles peuvent donc constituer des points d’appui dans la démarche des syndicats. Exemple : l’évaluation des politiques visant l’égalité femmes-hommes sur le lieu de travail, salaires, déroulements de carrière, etc.

Nasser Mansouri Guilani est Docteur en économie, responsable du Pôle économique de la CGT.

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