Les personnes vivant dans la rue

Une étude datant de 2012 chiffrait à 120000 le nombre de personnes vivant dans la rue : elles sont aujourd’hui sans doute beaucoup plus. Et derrière le sigle SDF il s’agit de femmes et d’hommes, sujets de droits comme tout un chacun mais qui se voient de fait écartés de l’effectivité de ces droits. Il y a urgence à agir. C’est ce qu’a voulu affirmer le CESE à travers cet avis voté en décembre dernier. Un avis qui constitue le seul travail conséquent produit par une assemblée de la République sur le sujet.

Si le CESE s’est emparé de ce sujet c’est pour répondre à 5 pétitions d’origines diverses qui avaient rassemblé plus de 800000 signatures. Or une commission temporaire avait été mise en place pour élaborer un avis sur la grande pauvreté : il lui a donc été demandé de travailler sur la question des personnes vivant dans la rue et de produire un avis qui serait une forme d’incise ou de brique dans la réflexion sur la grande pauvreté ; et ce sont les mêmes rapporteurs, Marie Hélène Boidin Dubrulle et Stéphane Junique qui ont été choisis.

La commission a dû travailler vite, trop vite, auditionnant les pétitionnaires ainsi qu’un certain nombre de spécialistes et de responsables associatifs; mais même si parmi les auditionnés figuraient d’anciens SDF on peut regretter qu’elle n’ait pas eu le temps de travailler avec des personnes vivant la grande pauvreté. Malgré quelques faiblesses, elle n’en a pas moins produit un avis qui propose un ensemble de mesures cohérent dont la mise en œuvre, si elle ne permettrait sans doute pas de parvenir à éradiquer le phénomène, pourrait toutefois améliorer grandement la situation.

Il commence par un tour d’horizon de la situation des personnes sans domicile fixe et des politiques mises en œuvre pour y faire face. Il montre l’embolisation de l’hébergement d’urgence, dûe à l’insuffisance du logement très social, situation qui génère des dépenses importantes sans pour autant permettre d’offrir un logement à chacun. Il montre également l’ambiguïté de la perception des personnes à la rue par la société avec d’un côté une indignation largement partagée face à cette situation qu’illustre le succès des pétitions et de l’autre des formes de rejet ou d’incompréhension que manifeste par exemple le développement des « dispositifs anti sdf » (mobiliers urbains, entrées d’immeubles etc.. les empêchant de s’allonger voire simplement de stationner).

Les propositions sont guidées par une idée force dont on peut se féliciter : permettre à tous l’effectivité de l’accès aux droits. Pour cela elles sont regroupées en trois ensembles.

Le premier est « le logement d’abord » : En mettant en avant cet axe de propositions l’avis a le mérite de proposer de rompre avec les politiques couteuses et inefficaces conduites jusqu’ici. Pour sortir de l’embolie de l’hébergement d’urgence il faut permettre aux personnes hébergées d’accéder à un logement stable et complémentairement éviter les expulsions. L’avis préconise donc d’augmenter sensiblement l’offre de logement très social, de développer et faciliter l’intermédiation locative, de prévenir les expulsions en intervenant en amont.

Le second axe est de traiter l’urgence : en développant l’hébergement d’urgence et l’adaptant aux situations diverses, en particulier en mettant à l’abri les femmes, et en facilitant l’accès aux droits. Il propose d’utiliser les bâtiments publics inoccupés et en attente de vente ou de transformation ; mais sur ce point on peut regretter que, malgré l’insistance d’une partie de la commission, l’avis n’évoque pas la possibilité de recourir à la réquisition. Il insiste sur la nécessité d’aller vers les personnes vivant dans la rue pour leur permettre d’accéder à ces droits, notamment le droit à la santé et met l’accent sur la domiciliation qui est théoriquement un droit offert à tous mais pour lequel nombre de structures sont défaillantes et l’État ne joue pas tout son rôle de coordination et de contrôle. Il met également en avant un droit souvent oublié : l’accompagnement dans la dignité des personnes décédées dans la rue.

Le dernier axe est celui de l’accompagnement qui met en valeur un thème : zéro personne sans accompagnement. L’idée est que si les pouvoirs publics ont un responsabilité centrale, les associations et chacun de nous ont un rôle important à jouer, ne serait ce qu’en changeant notre regard. Il souligne le rôle d’un certain nombre d’associations qu’il faut soutenir et l’importance que prend le numérique qui doit être inclusif : il propose par exemple la mise à disposition d’un coffre fort numérique. C’est dans cette partie que l’avis prend une position sur les « dispositifs anti sdf », en préconisant des aménagements urbains inclusifs et l’interdiction et le démantèlement des dispositifs qui portent atteinte à la dignité humaine. Il préconise également, et c’est important, que des évaluations régulières permettent de connaître la réalité du nombre et de la situation des personnes vivant dans la rue .

Il faut souhaiter que ces préconisations inspirent au plus vite les politiques publiques mais aussi que la suite des travaux sur la grande pauvreté permettent de les compléter. Rendez vous au printemps 2019

Gérard Aschieri

pour lire l’avis ici