Véronique Séhier

Le Cese a rendu une étude intéressante et courageuse intitulée « Droits sexuels et reproductifs en Europe : entre menaces et progrès ». Sa rapporteure, Véronique Séhier, co présidente du Planning familial, nous en parle

1) Pourquoi cette étude et quels en sont les enjeux?

Les droits sexuels et reproductifs sont des droits fondamentaux ; or en Europe leur reconnaissance et leur mise en œuvre sont très inégales d’un pays à un autre. Pourtant ils sont la condition nécessaire pour l’égalité entre les femmes et les hommes mais aussi l’égalité entre toutes les personnes parce qu’ils concernent bien sûr le droit à l’avortement, à la contraception, à l’éducation à la sexualité mais aussi le droit de toutes les personnes LGBTQI de vivre leur sexualité sans discriminations. Aujourd’hui il existe de nombreux mouvements qui veulent remettre en cause ces droits, par exemple le projet « Agenda Europe » porté par des mouvements extrémistes notamment religieux qui réunissent des moyens financiers considérables pour s’organiser au niveau européen contre ces droits et faire des propositions de lois régressives avec le soutien de plusieurs états, comme par ex en Pologne, en Hongrie et actuellement en Slovaquie.

Or il ne faut pas oublier que ce sont des droits qui conditionnent la vie de chaque personne : c’est le droit de choisir d’être mère ou pas, d’être parents ou de ne pas l’être, de fonder une famille quelle que soit son orientation sexuelle ; ils permettent à chacun et chacune de vivre sa vie sexuelle sans contrainte ni violence…

Il se trouve que ces droits ne sont pas clairement inscrits dans les droits européens : d’une part ils ne figurent pas directement dans la charte européenne des droits fondamentaux, d’autre part ils ne relèvent pas d’une législation européenne mais de la législation de chaque état membre, qui décide des lois dans ce domaine et de leur mise en œuvre. D’où des disparités considérables  : par exemple pour les familles LGBT quand on passe d’un pays à un autre on n’a pas les mêmes droits en matière de filiation, de reconnaissance de paternité avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur les familles. Cela veut dire également qu’une femme en Pologne ne peut pas avorter aussi librement qu’une femme en France, mais aussi qu’une femme française est parfois obligée d’aller avorter à l’étranger parce que les délais légaux sont plus restrictifs en France que dans un pays voisin ou parce que l’information n’est pas suffisamment développée. Autre point important ; la Convention d’Istanbul sur la prévention des violences sexuelles, qui a été ratifiée par l’Europe mais pas encore par tous les états, fait l’objet d’attaques régulières de la part des mouvements antichoix parce qu’on y parle de « genre » . Ces mouvements quand ils s’attaquent à ces textes et aux droits sexuels et reproductifs s’attaquent en fait à l’égalité entre les femmes et les hommes.

2) L’étude met l’accent sur trois « focus »; peux tu nous en parler?

Nous avons mis en avant l’éducation à la sexualité, la contraception et l’avortement. Ce sont des droits emblématiques : c’est la possibilité pour chaque personne de choisir d’avoir des enfants ou de ne pas en avoir. L’avortement est le droit le plus attaqué, on le voit par exemple aux Etats Unis avec une stratégie qui vise à revenir sur la jurisprudence de la Cour Suprême. En Europe on a vu des attaques en Pologne où le droit est déjà très restreint. On a vu des attaques contre ce droit en Espagne, et la mobilisation contre ces attaques, et plus récemment le combat victorieux de la société civile en Irlande pour faire reconnaître ce droit dans la Constitution. Le paysage en ce domaine est très contrasté avec des avancées et des reculs, mais on est confrontés à des attaques régulières, contestant aux femmes le droit de décider.

Avortement et contraception sont deux facettes d’un même droit, celui de décider de son corps, de décider de sa vie, de choisir d’avoir ou non un enfant, quand et avec qui. Quand on parle de ces droits on se situe toujours à la frontière de l’intime, parce qu’ils ont un impact sur la vie de chaque personne, et du politique parce qu’on voit comment des états mènent des politiques natalistes en cherchant à contrôler la fécondité des femmes, en refusant le droit à l’avortement ou en ne mettant pas en place les services nécessaires à l’accès à la contraception. On a tendance à opposer avortement et contraception et à considérer qu’en développant la contraception on va limiter les avortements. C’est faux : il n’y a pas de contraception efficace à cent pour cent, l’avortement est un acte courant de la vie des femmes, qui concerne une femme sur 3. Il y a plein de raisons qui font que des femmes avortent, que ce soit parce qu’elles ont eu des rapports non protégés, ou n’avaient pas de contraception, ou parce qu’elles ont eu des rapports forcés , et dans tous les cas parce qu’au final c’est à elles de décider. De plus, la société évolue, la norme procréative aussi, et il peut s ‘écouler un temps important entre le premier rapport sexuel et le moment où on souhaite avoir un enfant ; aujourd’hui l’âge de la première grossesse est autour de 29 ans alors qu’autrefois il était en moyenne de 24 ans en 1974. Lorsque des femmes sont sous contraception elles interrompent plus souvent une grossesse imprévue : 60% des grossesses non prévues se terminent par un avortement.

3) Et l’éducation, pourquoi ce focus?

L’éducation à la sexualité joue un rôle majeur à plusieurs niveaux. Elle permet de connaître ses droits et a un rôle important en termes d’information, car pour pouvoir exercer un droit il faut le connaître. C’est aussi un outil pour la promotion de l’égalité entre femmes et hommes et entre toutes les personnes: quand on fait de l’éducation à la sexualité on lutte contre les stéréotypes de genre et contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre, on favorise cette égalité en promouvant des rapports non pas de domination mais de coopération. Ainsi quand on travaille avec des tout petits on travaille sur le fait que garçon comme fille on peut exprimer ses émotions, et leurs enseignantes et enseignants nous disent combien cela fait baisser le niveau de violence. L’éducation à la vie affective et sexuelle est inscrite dans la loi depuis 2001 à raison de trois séances par an et par année d’âge, mais elle est encore trop peu appliquée : il faut absolument progresser en ce domaine, et l’inscrire clairement dans le cursus scolaire, dès le plus jeune âge, comme cela se fait dans d’autres pays, aux Pays bas par exemple. Car c’est permettre à chacun et chacune de faire ses propres choix en toute connaissance de cause, dans des rapports égalitaires, en abordant les questions de consentement, de respect, de rapport entre les garçons et les filles. C’est donc agir en prévention des violences sexistes et sexuelles, et outiller les jeunes pour qu’ils deviennent acteurs de leurs propres choix, libres, autonomes et responsables. C’est un outil formidable d’émancipation. Ce n’est pas un coût mais un investissement dans une société d’égalité et de liberté.

par Gérard Aschieri

pour en savoir plus et lire l’étude : ici