Le sujet a fait l’objet d’une saisine du Premier ministre en date du 18.07.2018. La section du Travail et de l’emploi, par l’intermédiaire de ses deux rapporteur.e.s, Mme Dominique Castera et Nicolas Gougain, s’en est emparée et a produit un avis qui a été voté le 27 mars dernier. Si l’analyse se révèle intéressante, les préconisations, elles, sont plutôt décevantes.
La lettre de saisine demandait « d’identifier très précisément la perception des jeunes actifs » quelque soit leur statut ou situation par rapport au travail et à ses transformations en cours. Elle réclamait également que puisse être « dégagé les principaux leviers susceptibles d’améliorer pour tous l’accès au marché du travail et le développement des parcours professionnelles ». Ces travaux devant permettre d’établir « une feuille de route…permettant de nourrir le prochain G7 présidé par la France et alimenter la réflexion du gouvernement dans le cadre du centenaire de l’OIT ».
Une des difficultés à laquelle la section a été confronté à consister à éviter toute focalisation uniquement sur l’avenir du travail- au sens des immenses transformations en cours- qui aurait pu gommer l’originalité des perceptions et attentes de la jeunesse en la matière.
La première partie s’est donc concentrée sur les profondes transformations du travail. Quelles que soient les attentes vis-à-vis du travail comme activité humaine salariée ou non, un certain nombre de facteurs centraux pèsent :
– « une élévation globale du niveau de connaissances et de qualifications, sans que la structure d’emploi ait suivi le rythme de ces évolutions, ce qui entraine un sentiment croissant de déclassement auprès de certains jeunes ».
– « une constante progression du taux d’activité des femmes…dépassant aujourd’hui en niveau d’éducation celui de la population masculine, sans que la reconnaissance de leurs qualifications soit toujours à la hauteur de leurs attentes. »
– « une permanence du chômage de masse et une montée de l’emploi précaire. »
– « une économie plus dépendante des échanges internationaux et une structure d’emploi transformée par la mondialisation avec une tertiarisation des emplois au détriment des emplois de l’industrie. »
– « une accentuation des redéploiements et restructurations d’activités, impliquant des mobilités accrues. »
– « une urgence à répondre aux enjeux environnementaux et une transformation profonde des modes de production et de consommation… »
– « une combinaison du traitement automatisé des données, des progrès de l’intelligence artificielle et de l’internet à l’origine de changements multiples et profonds dans l’économie et la société. »
Il n’y a pas une jeunesse mais des jeunes appréhendant de façon différente selon leur formation, leur qualification, leur origine sociale, leur sexe, leur insertion dans la vie professionnelle et leur vision du travail.
« L’expérience du travail revêt néanmoins un sens très fort pour l’ensemble de la jeunesse en ce qu’il offre un statut social et une intégration dans un collectif. ». Toutefois le contexte est marqué par une dégradation du marché de l’emploi, engagée depuis les années 80 et fortement accentuée après 2008.
« De 20 ans en 1975, l’âge moyen d’accès à un premier emploi stable est passé à 27 ans aujourd’hui. »
Les transformations de la structure de l’emploi ont des conséquences pour ceux et celles qui cherchent à entrer sur le marché du travail et en particulier, pour les jeunes dont la qualification est peu reconnue. La césure principale s’établit entre qualifié.e.s et non qualifié.e.s.
« Parmi les jeunes de 16-25 ans ayant terminé leur formation initiale, le taux de chômage en 2016 était de 20,1%, celui des sans diplômes de 27,9% et celui des diplômés de niveau 5 (CAP, BEP) de 23,2%. »
L’allongement des temps de transition entre insertion et stabilisation dans l’emploi s’est accru.
La catégorie des jeunes- ni en emploi, ni en études ni en formation (NEET) a augmenté, passant de 10% à 17%, la part de ceux accédant rapidement à un CDI a chuté de 40 à 32%.
Les situations paradoxales se développent également. D’une part certains secteurs de la jeunesse, globalement plus diplômés accèdent plus souvent à des fonctions plus qualifiées. D’autre part le phénomène de déclassement pour les diplômés du supérieur s’accentue proportionnellement à l’ensemble de leur génération.
Le rapport au travail pour la jeunesse est marqué par une très forte hétérogénéité entre nécessité pour ceux, celles qui sont dans la sphère de la précarité et d’autres qui cherchent une forme d’épanouissement, de quête de sens et de réalisation.
L’optimisme vis-à-vis de leur avenir professionnel, l’intégration des contraintes liées à la dégradation du contexte cohabitent avec « un modèle de cheminement à travers différentes étapes » dans leur vie professionnelle.
« La recherche de stabilité, notamment financière et de conditions d’emploi dignes sont pour les jeunes une garantie de la construction de leur projet de vie et de leur prise d’autonomie ».
Les aspirations communes des jeunes de 16 à 30 ans peuvent se caractériser, par-delà la recherche d’autonomie, le rôle de socialisation du travail et du lieu de travail, l’attente que le travail soit un facteur d’épanouissement et un bien-être, la volonté de mieux articuler vie professionnelle, vie personnelle et familiale, une demande de reconnaissance des compétences acquises sous différentes formes, l’aspiration à un travail utile et intéressant.
Il est à noter que sur les plus de 25 préconisations produites, 3 d’entre elles sont issues des propositions déposées par la plate-forme numérique du CESE et des ateliers où ont été sollicités des « grands témoins »
Une analyse très intéressante, du nouveau contexte créé par la série de réformes du marché du travail et de l’emploi impulsée depuis plusieurs années, est faite : « A travers les évolutions législatives récentes, la gestion de l’emploi est aujourd’hui un éléments que les entrepreneurs peuvent mieux anticiper dans l’évaluation de leur prise de risque » ; avec « un contexte qui leur est plus favorable sur le plan juridique,…, la justification du recours à des formes d’emploi à durée limitée a perdu de sa pertinence ». En conséquence, « le CESE recommande aux employeurs de privilégier les recrutements à durée indéterminée » et d’ajouter que « les employeurs publics doivent faire preuve d’exemplarité en limitant les recours aux contrats courts, particulièrement pour les contractuels de la F.P d’un usage très répandu dans certaines administrations ou établissement public ». Résolution qui fait écho en ce moment où le gouvernement défendant son projet CAP2022 et la loi Fonction Publique….
Le CESE – préconisation 3 – réaffirme l’objectif de « faire reculer la ségrégation de genre dans les métiers ainsi que la sous-valorisation de certaines compétences et qualifications dans des activités très majoritairement exercées par des femmes ».
Le rôle des missions locales est souligné « les pouvoirs publics devant (les) doter de moyens humains et des compétences juridiques nécessaires à l’accomplissement de leurs missions actuelles ainsi que la mise en œuvre de la nouvelle obligation de formation des jeunes jusqu’à 18 ans (préconisation 4).
« Les expérimentations de rapprochement entre Pôle Emploi et les missions locales devant faire l’objet d’une évaluation rigoureuse portant notamment sur la qualité de l’accompagnement spécifique réservé aux jeunes ».
Le CESE rappelle également que la réduction du nombre de « NEETS » doit être une priorité. Il préconise de faire de la Garantie Jeunes un droit effectif. Il recommande une évaluation des possibilités d’élargissement des critères d’accès à la Garantie Jeunes (plafond de ressources, durée) (préconisation 10).
L’avis préconise une démarche de responsabilisation des établissements de formation signataires des conventions de stage qui sont en droit de vérifier et de suivre…. les conditions dans lesquelles est effectué le stage (préconisation 16).
On aurait pu attendre sur les abus en la matière une préconisation plus ferme….
De même, la proposition de « création d’un énième dispositif de découverte d’un métier en situation réelle, limitée à 5 jours destinée aux jeunes de moins de 30 ans » peut prêter éventuellement à des détournements et usages abusifs (préconisation 7).
On peut regretter également que plusieurs préconisations – toutes justifiées en soi – relèvent d’ordre général (droit à la déconnexion, télétravail, CPA, responsabilité sociale des entreprises) en s’éloignant de la centralité liée à la jeunesse.
Enfin, comme l’avis le précise : « toute une partie de la jeune génération aspire…. ainsi à aligner son activité professionnelle avec des valeurs personnelles en veillant à la cohérence entre engagement professionnel et engagement personnel ». « Une partie de la jeunesse que l’on retrouve notamment dans les marches pour le climat conteste, entre autres, le modèle productiviste et l’organisation du travail qui en découle ».
Donc un avis charpenté en termes de diagnostic, mais qui, dans un temps d’élaboration contraint, laisse un sentiment d’inachevé et d’ambitions freinées, par rapport aux exigences qu’appelait un tel projet.
Noel Daucé
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