Dans notre précédente lettre nous avions exposé les dispositions prises par le CESE pour participer au débat national; en associant notamment des citoyens tirés au sort. Le résultat en a été un avis intitulé « Fractures et transitions : réconcilier la France » voté le 12 mars. Celui-ci pose un diagnostic intéressant de la situation de notre société tout comme des défis d’avenir qui nous attendent. Quant aux propositions qu’il contient nombre d’entre elles sont pertinentes mais on peut en même temps constater parfois des prudences et des insuffisances, qui sont sans doute dues au manque de temps pour un débat approfondi mais n’en sont pas moins regrettables.
Dès son introduction l’avis situe bien les enjeux : il évoque des« lignes de faille profondes, entre les riches et les pauvres, entre les inclus et les exclus, entre ceux qui bénéficient d’un monde plus ouvert et ceux qui se sentent enfermés là où ils sont, entre ceux qui décident et ceux pour qui on décide. ». Et en même temps il souligne que « des transitions très fortes sont en cours, démographique, économique, numérique, écologique, qui dessinent pour demain un monde entièrement nouveau et appellent des changements de fond. Ce que nous en ferons ensemble pourra résorber les fractures ou les agrandir »
Après avoir décrit quatre ensemble de fractures, fractures sociales, fractures dans l’emploi, fractures territoriales, fractures dans la représentation démocratique, l’avis passe en revue quatre transitions qui sont autant de défis : démographique, économique, numérique et bien sûr écologique. Face à ces enjeux dix neuf préconisations qui visent à bâtir un « pacte productif, social et écologique » et s’organisent en deux grands chapitres : d’abord « Résorber les inégalités, s’engager dans la durabilité » puis « Recréer la confiance par un pacte démocratique »
Parmi ces dix neuf préconisations on doit souligner positivement l’accent mis sur le pouvoir d’achat avec des recommandations sur les négociations salariales, le salaire minimum, la revalorisation des pensions mais aussi la proposition d’instaurer un « revenu minimum social garanti (RMSG) » se substituant aux autres minima sociaux (à l’exception de certaines allocations spécifiques) et de l’étendre aux jeunes à partir de 18 ans. Une autre proposition importante est celle de la relance d’une politique industrielle par le biais d’une programmation pluriannuelle de soutien à l’industrie.
De même un ensemble de préconisations qui s’articulent entre elles propose une « politique territoriale de développement durable et solidaire » dont l’objectif affiché est d’« intégrer dans le pacte productif, social et écologique toutes les actions territoriales relevant de politiques concourant à un développement durable et solidaire, par la préservation du pouvoir d’achat et la prise en compte des enjeux écologiques. ». Il articule à la fois des propositions sur l’énergie, le logement, les mobilités, l’agriculture et l’alimentation et l’aménagement des territoires.
Pour rétablir la confiance l’avis insiste à travers plusieurs préconisations sur le développement et l’amélioration de la participation des citoyens à l’élaboration des décisions, proposant notamment d’ étendre « à l’ensemble des décisions publiques, sauf restrictions liées à la sécurité, les principes d’accès aux données et de participation issus de la convention d’Aarhus » (qui à l’origine concerne les décisions en matière d’environnement). En revanche, et cela a fait l’objet d’un dissensus de la part des organisations de jeunes, l’avis n’aborde ni la question du référendum ni celle du vote blanc, arguant que ce sujets dépassent son cadre et relève d’une réforme constitutionnelle.
Mais on a du mal à comprendre pourquoi la partie qui traite de la fiscalité en demandant une « remise à plat » et une indispensable « refondation globale de la fiscalité dans le sens de la justice fiscale et de l’efficacité sociale, économique et environnementale » esquive totalement la question de l’ISF. De même si la question de l’éducation est l’objet de la première préconisation de l’avis avec l’intention d’en faire « un outil de réduction des inégalités et d’intégration sociale » on peut regretter que rien ne soit dit sur la question des moyens, du recrutement et de la la formation des personnels. Un autre exemple qui laisse un sentiment mitigé concerne les services publics : l’avis met en avant la nécessité de « revenir aux principes fondamentaux des services publics, qui ont vocation à assurer l’égalité d’accès sur tout le territoire, leur continuité et leur adaptation aux besoins évolutifs de la société. », ajoutant que « pour garantir la qualité du service public, ses agents doivent être reconnus par des rémunérations revalorisées et bénéficier de la formation nécessaire à l’exercice de leurs missions. ». Mais les préconisations suivantes sont assez pauvres et ambigües sur le contenu des services offerts sur le terrain, affirmant par exemple que cela pourrait prendre la forme « d’un point d’accueil dédié, mutualisateur, fixe ou itinérant. Ce point d’accueil devra comporter une présence humaine et faire appel à des personnels des services publics. Il pourra également s’appuyer sur des acteurs et actrices associatifs et/ou de proximité ». Il faut ajouter par ailleurs que l’avis n’a pu traiter que de façon marginale la situation dans les outre mers, ce qui a provoqué un vote contre des représentants de ces territoires.
Au final on peut se demander si au delà des préconisations qu’il fait le principal apport de ce travail n’est pas l’expérimentation de l’association de citoyens tirés au sort ; de l’avis de tous les participants cette expérimentation s’est montrée fructueuse et la collaboration s’est bien passée. Les citoyens tirés au sort ont délibéré de leurs côté et , si six d’entre eux ont participé à la commission temporaire, ils aussi ont produit en parallèle leur propre contribution qu’ils ont présentée devant l’assemblée : très applaudie elle s’est révélée à la fois intéressante et tranchante. Une expérimentation dont il faudra tirer les enseignements pour l’avenir.
Gérard Aschieri
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