Jacques Beall

Jacques Beall est membre du groupe Environnement et nature où il représente Surfrider Foundation Europe, une organisation spécialisée dans la défense des espaces maritimes et côtiers. Il vient de faire adopter un avis sur « la politique européenne du transport maritime »

1) Tu es au CESE au titre d’une organisation de défense de l’environnement, qu’est ce qui t’a conduit à t’intéresser à ce sujet?

Le transport maritime fait partie des dossiers sensibles traités par notre association depuis les catastrophes de l’Erika et du Prestige ; elles ont eu un fort impact sur les écosystèmes marins, les côtes et les activités nautiques en général. A partir de là nous avons pris en main ce dossier, celui des marées noires et plus largement les impacts des plates-formes pétrolières. Dès le début de la mandature nous avons pensé à ce sujet là notamment parce qu’il y a une révision de la politique européenne en cours et que 2017 est l’année du « shipping » : il existe en effet depuis 2009 une stratégie européenne du transport maritime qui doit être revue pour 2018. C’était donc le bon moment.

2) Mais les seuls enjeux sont ils seulement  environnementaux?

Dans nos débats sont apparus deux enjeux principaux : articuler les trois piliers des Objectifs du Développement Durable de l’ONU, piliers social, environnemental et économique  et traiter les enjeux climats en lien avec la COP 21. On s’aperçoit que ces dimensions s’interpénètrent dans le dossier du transport maritime. Un des exemples les plus emblématiques est celui du démantèlement des navires : l’enjeu premier est le social avec dans certains pays, d’Asie notamment, des conditions de travail et de vie sur ces chantiers déplorables et extrêmement dangereuses ; en effet ils travaillent sur des déchets qui souvent ne sont pas reconnus comme tels, résidus de cuve, amiante, plomb etc.. avec des conséquences tant sur la santé que sur l’environnement ; le volet économique réside dans le fait que les armateurs disent ne pas avoir le choix économiquement lorsqu’ils comparent le coût du démantèlement en Europe et le gain possible de la vente de l’acier en Asie. Notre proposition est de pousser à la création d’une filière européenne de démantèlement ; certes on n’arrivera sans doute pas à renverser le marché qui est à 95% en Asie mais au moins commencer à développer des savoir-faire, des techniques nouvelles, déjà dépolluer les navires et a minima certifier des sites. Pour cela il faut trouver des leviers qui aident les industriels à s’y lancer : fonds Junker par exemple, création d’un label « transport durable » qui intègre le démantèlement etc.

En fait le transport maritime est un sujet très complexe, par la multiplicité des activités et des acteurs, mais aussi par la régulation qui est soit internationale, soit européenne transposée en droit national.. C’est un secteur d’activité au service de la mondialisation , la concurrence peut y être faussée ou déloyale entre pays qui appliquent différemment les normes en vigueur. On parle alors de pavillons de complaisance. Dans nos commerces la plupart des produits disponibles sont fabriqués à l’autre bout du monde car le coût de transport est ridicule par rapport à leur prix ; entre 80 et 90 % des produits circulent par voie maritime. Or toute cette activité se passe loin de nos yeux en haute mer et par conséquent loin de nos cœurs et de nos préoccupations : ainsi des produits équitables peuvent être fabriqués et vendus dans de bonnes conditions sans que l’on sache ce qui se passe entre le lieu de production et le lieu de vente.

3) Qu’est ce qui constitue le cœur des préconisations de l’avis?

Notre idée était d’abord d’alerter consommateurs et citoyens et de contribuer à leur prise de conscience. Au-delà nous avons voulu insister sur la dimension européenne : le dumping social par exemple doit être traité au niveau international mais aussi au niveau européen. Pour cela la première chose à faire, et qui dépend de la commission européenne, c’est d’harmoniser les contrôles entre les différents états membres, car de fortes disparités existent qui permettent une concurrence déloyale au sein de l’UE ; elle doit aussi jouer tout son rôle pour que les pays ratifient les conventions, comme celle qui existe sur le démantèlement. Les armateurs européens sont opposés aux mesures qui ne s’appliquent qu’à l’industrie maritime des états membres car c’est une activité mondialisée :pour eux les réponses doivent être apportées dans les instances internationales. Mais pour nous, l’Europe doit garder un rôle moteur et ne pas attendre après des négociations internationales qui s’éternisent, notamment sur les enjeux climat. Rappelons que 40% de la flotte mondiale est soit sous pavillon européen soit possédée par des armateurs européens. Nous avons eu également une réflexion sur la notion d’ « eaux communautaires » : pour les bateaux qui ne travaillent qu’en Europe (les ferrys par exemple) quelles sont les règles communes que l’on pourrait appliquer pour élever le niveau des garanties sociales? De même pour les questions sanitaires et environnementales : on estime que les rejets d’oxydes de souffre et d’azote, et de particules du transport maritime sont responsables de 60000 décès prématurés par an en Europe ; et la part de ce transport dans les émissions de gaz à effet de serre va augmenter fortement alors que les états font des efforts pour les réduire par ailleurs. L’innovation technologique est une manière efficace de répondre à ces deux problématiques mais il faudra également des politiques incitatives adaptées pour que les entreprises s’engagent dans ce sens. La pression de l’opinion publique notamment en Europe, fait partie des leviers à utiliser.

Par Gérard Aschieri

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