Guillaume Duval

Le CESE a comme chaque année élaboré et adopté son Rapport Annuel sur l’État de la France. Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives Économiques et membre du Conseil au titre des personnalités qualifiées en a été avec Pierre Lafont le rapporteur.

1) Cette année le rapport est intitulé « réconcilier la France » ; pourquoi ce titre ?

Le rapport prend appui sur les dix indicateurs de richesse retenus par le Gouvernement pour apprécier la situation du pays en complément de l’évolution du PIB. Et le constat que nous faisons est que la France ne va pas bien au plan économique et social  : ainsi la marché du travail est toujours très dégradé ; on a des problèmes d’innovation car celle-ci reste insuffisante ; l’endettement des ménages, des entreprises comme de l’État continue à croître, même si les conséquences en sont limitées par la baisse des taux d’intérêt. Nous avons donc des problèmes réels mais au-delà nous avons aussi une difficulté supplémentaire  : les français sont très pessimistes pour l’avenir du pays et nous sommes même un des pays au monde où ce pessimisme est le plus fort. Pourtant lorsqu’on interroge les français sur leur satisfaction dans la vie- c’est un des indicateurs sur lesquels le rapport se fonde- ils sont dans la moyenne européenne et très au dessus des pays en crise dans la zone euro. Ils sont donc en même temps relativement satisfaits dans leur vie personnelle et pessimistes pour l’avenir collectif du pays. Notre crainte est que ce pessimisme devienne auto réalisateur : que cela conduise à ne pas s’investir dans le futur, à ne pas voir et utiliser les atouts du pays pour affronter les défis du 21ème siècle comme la révolution numérique, la transformation écologique, etc… Or nous pensons que nous en avons en réalité pas mal de ces atouts. Il faut donc inverser cette tendance.

2) Le rapport traite en particulier de la question des inégalités, pour quelles raisons?

Justement à cause de cette distance entre la façon dont les français ressentent l’état de leur pays et la réalité. Elle provient notamment de leur ressenti en matière d’inégalités. Il ne s’agit pas seulement d’inégalités matérielles, mais se développent en plus des inégalités que l’on appelle sociétales (scolaires, territoriales, de genre, de santé, des discriminations selon l’origine et la couleur de peau…) qui fragmentent le corps social avec des conséquences sur la solidarité et la cohésion de la société. Elles pénalisent aussi la croissance économique comme l’OCDE l’a montré. En fait la France est marquée par des paradoxes : c’est un pays qui se veut très égalitaire, et cette aspiration est largement partagée par nos concitoyens, mais les inégalités, tout en restant plus limitées qu’ailleurs, s’y aggravent sensiblement ; un pays qui a un système perfectionné mais complexe de redistribution sociale, jugé du coup souvent comme lointain par ses bénéficiaires potentiels, d’où de nombreuses situations de non-recours. Elle a un système d’éducation performant avec un taux d’échec scolaire inférieur à la moyenne européenne mais qui corrige peu les inégalités sociales. Le pessimisme français excessif résulte notamment de ce grand écart entre la forte aspiration égalitaire et les réalisations de plus en plus imparfaites de la société française en la matière.

3) Au fond le message est il un message d’espoir ? Le rapport est il optimiste?

Oui, dans nombres de secteurs la France a des potentialités importantes et nos insuffisances peuvent être corrigées si la France arrive à se réconcilier avec elle-même, c’est à dire lutter contre ce qui fait se distendre le corps social et réduire la distance entre la façon dont nous ressentons notre pays et celle dont il s’inscrit dans la réalité. Ce qui implique de refonder notre cohésion sociale en rendant en particulier nos outils de redistribution et nos services publics plus efficaces. Il nous faut aussi nous donner un projet collectif pour l’avenir de notre pays. Cela implique bien sûr des efforts importants en termes de recherche, aussi bien quantitatifs que qualitatifs : organisation de la recherche, meilleure articulation entre recherche publique et privée…Mais cela nécessite aussi et surtout un effort pour rendre l’ensemble de la société plus innovante : il faut notamment impliquer davantage les salariés dans la vie de l’entreprise, changer le style de management qui est aujourd’hui trop vertical, que ce soit dans les entreprises ou dans la fonction publique ; il faut aussi faire évoluer les rapports entre l’État et la société pour que ce dernier réagisse beaucoup plus vite aux besoins et aux demandes des citoyens. Si nous sortons de la déprime collective nous avons beaucoup plus d’atouts qu’on ne le pense généralement pour aborder les défis du XXIème siècle.

Par Gérard Aschieri

pour en savoir plus et lire le rapport ici