Chômage de longue durée et territoires

« La  prévention et la réduction du chômage de longue durée dans une perspective d’action territoriale » tel est le titre complet de cet avis. C’est une saisine du président du Sénat qui a déclenché ce rapport et cet avis. La section « Travail et Emploi » l’a instruite avec pour rapporteurs : Luc Bérille et Jean Michel Pottier.

L’accent a été mis sur la dimension territoriale tant plusieurs avis du CESE ont déjà abordé la question sociale par ailleurs dramatique du chômage de longue durée, sous différents angles. Dans l’année 2015, l’avis portant sur l’expérimentation « Territoires zéro chômage de longue durée » ou celui intitulé « l’impact du chômage sur les personnes et leur entourage : mieux prévenir et accompagner. » ou, sur d’autres aspects, tour à tour « les jeunes et l’avenir du travail » et « l’emploi des seniors » (avril 2018)

Cela souligne les dimensions plurielles du chômage de longue durée. Parmi lesquelles, sa massivité :au dernier trimestre 2019, 2628100 personnes étaient au chômage de longue durée, soit 48% des inscrits à Pole Emploi, près de 600000 demandeurs d’emploi en plus depuis 2013.

l’autre dimension est le caractère durable du phénomène, constaté en évolution dégradée depuis la crise de 2018, à tel point que dans les statistiques, on distingue des chômeurs de longue durée (plus de 1 an d’inscription) et des chômeurs de très longue durée (plus de 2 et 3 ans).

Il faut également remarquer les effets d’âge touchant à la fois les 50 ans et plus et les jeunes en difficultés d’insertion.

Donc le défi le plus important que devaient franchir les travaux, était de faire preuve d’audace et d’originalité pour apporter des réponses pertinentes et efficaces à ce drame récurrent.

De plus, la préparation et l’élaboration ont été comme l’ensemble des activités du CESE, télescopées par la pandémie du COVID 19. Commencées au début du mois de décembre, ce sont des conditions très particulières qui ont vu son cheminement jusqu’à son adoption au mois de juin : suspension des réunions de travail en présentiel puis tenu de ces réunions par le biais contraignant des visioconférences.

Or l’ampleur et le caractère inédit de la crise sanitaire avec toutes ses conséquences sociales, économiques, écologiques vécues et annoncées rendent cet avis sur le CLD (Congé des Longue Durée) crucial. Le chômage en effet a bondi de plus d’un million d’inscrits supplémentaire et au milieu du confinement, la croissance constatée à Pôle Emploi résultait non pas d’une augmentation de nouveaux entrants au chômage mais d’une baisse des sorties…300000 postes d’intérimaires étaient supprimés au mois de mars dernier. Faut il rappeler, qu’à la photographie du CLD, pour être prise dans sa totalité sociale, manque le halo des chômeurs qui ne sont pas « enregistrés » pour cause de découragement ou d’indisponibilités diverses ?

Le rapport comme la plupart du temps, offre un très riche panorama abordant les différentes caractéristiques du CLD et constitue un fonds de ressources multiples pour tous.tes ,ceux.celles qui s’intéressent aux problèmes d’emplois.

Les 20 préconisations sont disposées pour répondre aux différents constats effectués.

Face à une coordination insuffisante des acteurs de l’emploi, de l’insertion et du développement économique, la préconisation 2 propose de « mettre en place une contractualisation de niveau régional au sein d’un consortium réunissant la région, les départements, les opérateurs de compétences (OPCO) en territoires, les acteurs de l’insertion par l’activité économique (IAE), les composantes du service public de l’emploi et du service public de l’insertion pour assurer une répartition efficace des rôles en matière d’accompagnement et de suivi des personnes vulnérables sur le marché du travail. »

De même la préconisation 4 demande de « renforcer la compétence des régions par l’attribution d’un rôle d’anticipation des mutations économiques et de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences territoriales dans les bassins d’emploi. » et « dans le cadre de la contractualisation avec l’Etat de confier aux Régions le soin d’assurer une couverture suffisante en structure d’accueil du public…dont les Maisons de l’Emploi et les structures de proximité du service public de l’emploi. »

Après avoir déterminé que le faible niveau d’éducation et de qualification était un facteur d’aggravation pour le risque de CLD, le CESE propose de « garantir le partage d’information sur les parcours individuels entre les réseaux de l’insertion et le service public de l’emploi »(préconisation 8).

Également concernant le Plan d’investissement dans les compétences (PIC), de « l’inscrire dans la durée, au-delà du terme envisagé en 2022… » (préconisation 7).

Plus surprenant, se sont glissés des éléments de critique du fonctionnement de France Compétences. En une sorte de session d’amendements à ce qui a été jugé comme une étatisation des fonds de la formation professionnelle gérés auparavant par les partenaires sociaux, il est donc proposé d’accorder « une attention portée aux entreprises entre 50 et 299 personnes pour leur permettre de bénéficier d’un financement sécurisé et mutualisé de la formation professionnelle » (préconisation 6)

Après avoir analysé que la durée de la privation d’emploi accroit la difficulté du retour à l’emploi. Le CESE se positionne très nettement en opposition à la dernière réforme de l’Assurance chômage imposée par le gouvernement. « Le durcissement des règles d’indemnisation par le régime d’assurance chômage intervenu au 1er novembre 2019 risque de faire passer nombre de demandeurs d’emploi du régime de l’indemnisation, conçue pour favoriser la recherche d’emploi, à celui de l’assistance. Diriger les chômeurs plus rapidement vers les minima sociaux peut compromettre matériellement comme psychologiquement le retour à l’emploi. »

Avec la même préoccupation, la préoccupation 11 demande de « rechercher à l’échelle nationale une meilleure articulation entre les dispositifs d’aide sociale dont peuvent bénéficier les chômeurs et chômeuses de longue durée et le régime d’indemnisation des stagiaires de la formation professionnelle. »

L’âge et la santé sont des facteurs importants dans le CLD, aussi le CESE réclame « le renforcement de l’approche coordonnée de la prévention des risques professionnelles et du vieillissement au travail, entre l’ensemble des acteurs, les médecins-conseils de l’assurance maladie, les médecins du travail et les médecins de ville…(préconisation15). Remarquons que cela impose de rétablir l’intervention des médecins du travail mise à mal par les récentes réformes.

En matière de prévention du CLD, l’avis toutefois manque d’ambition.

La préconisation 14 invite à « mieux définir les rôles respectifs des DIRECCTE (directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi ) et des collectivités locales pour maintenir l’emploi dans les territoires, en lien avec l’ensemble des acteurs économiques, dans une démarche de prévention des crises conjoncturelles et d’anticipation des mutations économiques. »

Les branches professionnelles sont invitées à « identifier les emplois de reconversion envisageables et les formations correspondantes, par bassins d’emploi. » (Préconisation 17)

Franchement cela est tout à fait insuffisant en matière de responsabilité sociale et économique des entreprises.

L’extension progressive de l’expérimentation « Territoires, zéro CLD » et « des entreprises à but d’emploi » est préconisée, « en s’appuyant sur un diagnostic partagé entre les acteurs locaux ». C’est une expérience intéressante à plus d’un titre mais aux champs aujourd’hui limités (900 personnes, 10 territoires).

Reprenant une formulation, déjà fort discutée, de l’avis sur « l’emploi des seniors », un nouveau contrat précaire est proposé : un CDI senior, subventionné, de retour et de maintien dans l’emploi, destiné aux demandeurs d’emploi de plus d’1 an, âgés de 57 ans et plus. (Préconisation 20)

L’avis a été adopté par 174 Pour /19 Contre et 2 Abstentions.

Ni la remise en cause du dispositif des ruptures conventionnelles, ni des perspectives audacieuses et adaptées comme « la sécurité sociale professionnelle » n’ont été abordées.

Le fossé entre les enjeux et les propositions dessinées est très grand, renforcé par l’annonce d’une très probable crise économique tellurique à la rentrée.

Noël Daucé

pour en savoir plus et lire le rapport et l’avis :  ici