L’évitement fiscal

Mille milliards d’euros, c’est le total des pertes fiscales estimées pour l’Union européenne. Pour la France le manque à gagner est estimé entre 60 et 80 milliard, plus que le budget des enseignements scolaires. Ces chiffres montrent les enjeux de l’avis voté par le CESE : « Les mécanismes de l’évitement fiscal, leur impact sur le consentement à l’impôt et la cohésion sociale »

 

En effet ce qui est mis en cause par un évitement aussi massif ce n’est pas seulement le financement de services publics capables de répondre aux besoins, de rendre effectif l’accès aux droits   et de réduire les inégalités. : c’est aussi la cohésion de la société, minée par le sentiment d’injustice ainsi provoqué,  et l’idée  que la fiscalité est un bon moyen de contribuer de façon équitable à l’intérêt général : l’avis (rapporteur Antoine Dulin) cite ainsi une enquête d’opinion, réalisée après les révélations  des Panama Papers, dans laquelle 22 % des sondés trouvaient  » raisonnable » d’éviter de s’acquitter de ses obligations fiscales. Bien plus, cet évitement fiscal fausse la concurrence entre les pays mais aussi entre  les entreprises, les grands groupes internationaux ayant un taux d’imposition effectif sensiblement inférieur à celui des PME

Le premier intérêt de cet avis est de donner une définition large de cet évitement fiscal :  à la fois la fraude fiscale qui viole délibérément la loi et l’optimisation « agressive » qui consiste en une « utilisation excessive de mécanismes légaux, potentiellement dommageable et contraire à l’intérêt général« .

Les bananes de Jersey

L’avis, exemples à l’appui, décrit de façon pédagogique les pratiques qui ont proliféré sur la base de deux phénomènes : d’une part la mondialisation libérale des échanges économiques et des marchés de capitaux, d’autre part la dématérialisation  et la numérisation d’une part croissante de l’économie. Et l’on peut comprendre ainsi comment procèdent, Goggle, Amazon, Facebook, Apple, Airbnb… ou Mac Donald, Starbuck et certaines vedettes du ballon rond. L’on découvre le  » double sandwich Irlando-néerlandais  » et on apprend aussi par quel tour de passe-passe fiscal l’île de Jersey apparaît comme le premier exportateur de bananes en direction de l’UE..

Il souligne en même temps une prise de conscience et des progrès dans la lutte contre la fraude fiscale aussi bien au plan national qu’au plan international : la crise de 2008 à sans aucun doute joué un rôle dans cette évolution mais le rôle de l’opinion publique, marquée par la découverte d’un certain nombre de scandales, pèse considérablement en faveur de cette lutte.

Cependant il est indispensable d’aller plus loin, y compris parce que la lutte contre les paradis fiscaux n’empêche pas l’UE d’en conserver dans son sein, comme les îles anglo normandes ou le Luxembourg, et parce que l’adoption par les États Unis d’une législation plus sévère va de pair avec l’existence sur son territoire de paradis fiscaux, comme l’état du Delaware.

Lutter plus efficacement

L’avis préconise toute une panoplie de mesures pour mieux lutter contre l’évitement fiscal. Si l’on ne peut les citer toutes on peut en souligner quelques-unes et d’abord celle qui consiste  à renforcer les moyens matériels et humains de l’administration fiscale et à recommander de mettre un terme aux suppressions d’emplois dans ce secteur. Il propose également de faire jouer à notre pays un rôle moteur en Europe et dans le monde pour lutter contre l’évitement fiscal et formule une préconisation originale, l’organisation d’une Cop (Conférence des Parties) fiscale, comme cela existe pour le climat. Intéressante aussi l’idée que les partenaires sociaux devraient pouvoir être informés et débattre des politiques fiscales des entreprises et que la RSE (responsabilité sociale et environnementale des entreprises) devrait inclure leur responsabilité en matière fiscale. Enfin il appelle à agir pour renforcer la légitimité de l’impôt.

On peut sans doute regretter que l’avis n’aille pas toujours assez loin, par exemple sur la question des niches fiscales ou sur le reporting public des multinationales. Il n’en constitue pas moins un document bien utile tant dans ses analyses que ses propositions et il mérite d’être  connu, défendu et utilisé largement.

Par Gérard Aschieri

 

pour en savoir plus et lire l’avis : ici