Un Etat au service d’une société de confiance?

La presse a largement évoqué le projet de loi pour « un Etat au service d’une société de confiance » adopté en conseil des ministres fin novembre. Le gouvernement avait préalablement demandé au CESE un avis, non pas sur l’ensemble du texte mais sur son article préliminaire qui en fixe les grandes orientations. Cet avis devait être élaboré en moins de trois semaines : la commission temporaire qui avait travaillé sur l’évolution de la fonction publique (voir lettre numéro 7 février 2017 ) en a été chargée dans le cadre d’une procédure d’urgence. Le texte qui en est sorti, s’appuyant sur le travail déjà fait, a mis en avant des points de vigilance fondamentaux qu’il importe de connaître et faire connaître.

L’avis commence par rappeler que « la conception française de la fonction publique repose sur la recherche d’un équilibre constant entre intérêt public et initiative individuelle » et il souligne que la « relation de confiance entre les Français.e.s et l’administration s’est construite dans la fidélité aux principes généraux applicables au service public ainsi qu’à ceux qui régissent la fonction publique » Il affirme donc qu’il importe de ne pas remettre en cause cet équilibre et ces principes. D’autant plus que que « si l’action publique peut se concevoir en termes de réponse à certaines demandes sociales », il ne faut pas oublier qu’elle a « une fonction régulatrice, voire régalienne, qui s’exerce conformément à la vision de l’intérêt général dégagée par le.la législateur.rice. Elle vise enfin des objectifs de cohésion sociale et de citoyenneté »

A partir de ces rappels le CESE énumère un certain nombre de mises en garde ou « points de vigilance ».  Ainsi il rappelle que si l’administration a un rôle de conseil aux usagers celui-ci ne peut se faire au détriment de ses missions de contrôle et de régulation, « consubstantielles à la bonne conduite de nombreuses politiques publiques dans les domaines économique, social et environnemental » : cela implique notamment une « doctrine » claire sur ce que sont les règles et qui a la responsabilité de quoi . C’est pourquoi s’agissant du « droit à l’erreur »  dont on beaucoup parlé les médias l’avis souligne qu’il s’agit en fait d’ un « droit à l’indulgence en cas d’erreur, sous réserve de la bonne foi des personnes concernées » : il nécessite de se préoccuper des moyens dont disposeront les administrations pour le mettre en œuvre et implique « une évaluation rigoureuse après une phase d’expérimentation » et « la nécessité de définir des principes clairs sur les critères permettant d’apprécier la bonne foi des personnes », sans alourdir la charge de travail des agents.

Il appelle aussi à la vigilance face à l’affirmation que l’action publique doit voir ses  coûts et ses règles «  limités au strict nécessaire et proportionnés aux objectifs à atteindre. » : pour le CESE en effet « l’accès à la santé, à l’éducation, la préservation de l’environnement, entre autres, sont autant de missions de service public que le principe d’égalité suppose de mettre en forme d’une manière suffisante sur le territoire, sans que des considérations de coût strictement budgétaires emportent le sens des décisions à prendre ». Et il ne faut non plus jamais oublier que l’évaluation des effets de l’action publique doit prendre en compte le long terme.

Il met également en garde sur les risques d’une administration dématérialisée en rappelant ce qu’il a déjà dit dans plusieurs avis, à savoir qu’il existe une fracture numérique et que celle-ci fait courir le risque d’accroître les inégalités et la distance entre les usagers et leurs administrations si l’on n’en tient pas compte. C’est pourquoi, outre la présence de personnels capables d’aider les usagers dans le cadre d’une médiation numérique il « recommande que l’organisation des services publics maintienne la capacité de certains usager.ère.s d’opter pour une relation physique directe avec leur administration ».

Enfin il faut souligner qu’il insiste sur la nécessité d’associer les personnels et les usagers dans la définition des besoins et des réponses à leur apporter ; de développer le dialogue social et de prendre en compte les conditions de travail des usagers.

Au final cet avis, bien qu’ élaboré en urgence et ne portant que sur le préambule du projet de loi, peut être particulièrement utile dans le débat à venir et comporte nombre de points importants, qui d’ailleurs viennent d’être corroborés par l’avis du Conseil d’État et  dont les personnels et les usagers devraient s’emparer.

 

par Gérard Aschieri

pour lire l’avis ici