Pierre Antoine Gailly

Le CESE a voté un avis intitulé « Fin de vie : la France à l’heure des choix» qui a fait un certain bruit. Son rapporteur Pierre-Antoine Gailly, du groupe des entreprises, nous parle de la démarche qui a abouti à ce texte et des idées fortes qui le parcourent.

1) Pourquoi cet avis aujourd’hui?

En fait il résulte de la rencontre de deux préoccupations.  D’un part le souci du CESE de prendre en compte les pétitions circulant sur internet: or une pétition lancée par l’Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité avait recueilli plus de 280000 signatures (360000 aujourd’hui). D’autre part le souci de faire le point, « l’état de l’art », sur tout ce qui relevait des soins palliatifs en France. Cela a conduit au projet d’une auto saisine. Par ailleurs le calendrier s’annonçait relativement chargé avec en perspective les Assises Nationale de l’Éthique avec le travail du Comité national d’Éthique et la révision des lois bio éthiques lancée par Agnès Buzyn.

On a donc proposé au bureau du CESE une saisine avec deux objectifs : faire le point à droits constants et se demander s’il faut aller plus loin, le point commun ou la corrélation entre les deux étant de faire en sorte qu’en France on meure « mieux ».

2) Comment avez vous travaillé? quelle a été la démarche?

Le choix a été fait de mettre en place une commission temporaire parce que le sujet ne correspondait pleinement à la compétence d’aucune formation de travail permanente. Dans cette commission tous les groupes étaient représentés par 27 conseillers provenant de sept formations de travail différente ; tous étaient intéressés par le sujet et cela a permis un débat de grande qualité. Et nous avons pu faire un programme d’auditions de qualité . Nous avons entendu les associations, celles favorables comme celles hostiles à une évolution de la législation, tous les représentants des professionnels concernés, ceux des cultes et des courants de pensée laïques, avec des responsables de haut niveau, des philosophes comme Frédéric Worms…Toutes les opinions ont pu s’exprimer. Par ailleurs nous avons pu observer que nous disposions de dix huit ans de sondages sur le sujet, opérés par le même organisme, l’IFOP à la demande d’organes de presse ou d’organisations très divers : de façon constante entre 78 et 80% des personnes interrogées étaient favorables à aller plus loin que la législation actuelle, et, quelle que soit la situation sociale, géographique, l’opinion politique ou la religion, on ne descendait jamais en dessous de 70%.

Et il nous a paru intéressant de faire l’historique depuis la circulaire Laroque 1986 qui pour la première fois en France parlait de soins palliatifs et on a pu voir que l’on était en pleine évolution du rapport de forces entre le médecin et son patient : un premier retournement remonte en fait à la loi Neuwirth, où pour la première fois un patient peut imposer à son médecin une prescription, même si le médecin y est opposé, et plus tard de multiples dispositions législatives l’ont amplifié. Ainsi les lois Kouchner ont mis le patient au cœur des décisions qui le concernaient : c’est dans ce cadre que nous nous sommes placés pour nos préconisations.

3) Quels sont les grands axes de préconisations de l’avis ?

Nous avons quatorze préconisations : les onze premières font consensus dans la mesure où elles se placent dans le droit actuel. Il s’agit d’améliorer la mise en œuvre et l’effectivité des droits actuels : les gens ne sont pas assez informés par exemple sur les directives anticipées ou le tiers de confiance- pas seulement les patients mais tous les types d’acteurs. Il y a également un défaut de formation criant : le nombre d ‘heures consacrées aux soins palliatifs dans la formation des médecins et personnels de santé est très faible et il y a un enjeu central à développer la formation continue en ce domaine. Par ailleurs il faut corriger les aberrations administratives que produit la tarification à l’acte dans les hôpitaux qui ne tient absolument pas compte du temps passé alors qu’en matière de soins palliatifs c’est ce temps qui est capital. Elle produit aussi des absurdités en matière de parcours de soins : on a tous entendu des récits de personnes âgées ballottées entre urgences et EPHAD et on a eu des témoignages de directeurs d’hôpitaux qui nous ont ébranlés!

Sur tous ces points ont est entrés dans le concret et le technique pour dire que déjà à droits constants on avait beaucoup de choses à faire. Et on a constaté qu’y remédier ne coûtait pas des milliards comme dans le cas des EPHAD : il existe déjà des plans à 200 million sur trois ans et les augmenter de 50% est jouable.

Les trois dernières préconisations portent sur l’évolution de la législation et ce sont elles qui ont fait débat. Pour bien comprendre il faut rappeler ce que nous ont dit à peu près tous les médecins sur la sédation profonde et continue prévue par les textes : celle ci vise à soulager mais une variation minime de dosage peut conduire très vite au décès sans qu’il y ait intention de tuer ; c’est ce qu’ils appellent le « double effet » et que nous avons appelé l’ambiguïté voire l’hypocrisie de la loi actuelle. En outre la haute autorité de santé a émis récemment des normes sur cette sédation qui en restreignent fortement l’usage. Il y a donc un problème. Second problème : nombre de professionnels auditionnés nous ont dit que avoir un jour ou l’autre passé outre le serment d’Hippocrate qui dit « Tu ne tueras point » au risque de conséquences pénales.

Il nous a donc semblé que, face à la volonté exprimée par le malade avec des directives anticipées mieux cadrées et révisables à tout moment et des tiers de confiance mieux informés, on devait avoir autre chose à proposer. Est venu alors l’exercice du choix de mots, extrêmement compliqué : les mots « euthanasie » ou « suicide assisté » provoquent un vrai blocage ; en même temps le terme de sédation renvoie pour les médecins au soin dans une conception curative ou palliative alors que le mot soin qui se traduit aussi par « care » a une double acception : on prend soin de quelqu’un sans être nécessairement dans le médical. Finalement on en est arrivés à l’expression de « sédation explicitement létale », la notion d’explicite étant destinée à lever l’ambiguïté de la double intention. Et bien sûr on propose que ce soit strictement encadré et qu’existe pour les médecins une clause de conscience. Sur cet ensemble nous avons proposé à ceux qui étaient en désaccord de rédiger eux même un dissensus : une partie intégrée dans le texte de l’avis qui donne leurs arguments. De cette façon on est dans la transparence et les pouvoirs publics ont à la fois la position majoritaire du CESE et l’expression du désaccord de certains.

Par Gérard Aschieri

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