Les nouvelles formes du travail indépendant

Cette question a fait l’objet d’une saisine gouvernementale  : celle-ci imposait un travail en urgence au CESE puisqu’il doit nourrir les réflexions qui serviront au printemps prochain pour la réforme de la sécurisation des parcours professionnels. Il se situe également à la veille des consultations et négociations prévues au sujet d’une refonte radicale du régime de l’assurance chômage avec concomitamment l’intégration du RSI au dispositif général de la Sécurité Sociale. Un contexte qui n’a pas facilité des débats déjà difficiles.

La saisine balisait le projet d’avis en le plaçant dans le cadre du programme gouvernemental avec des attendus plus qu’indicatifs : « favoriser le travail indépendant… », « donner toute la souplesse lui permettant de se développer de façon optimale… » rassurer « des donneurs d’ordre hésitant à avoir recours à des travailleurs indépendants de peur de voir ces contrats commerciaux requalifiés en contrats de travail »…

Le document du CESE réalise une mise au point intéressante sur les volumes de population active et sur les différentes catégories sociales et professionnelles que recouvre le terme générique de travailleur indépendant.

Pour une population d’environ 3 millions d’indépendants (12% de la population active), le secteur agricole au sens large représente 700000 personnes, les professions libérales 800000, les artisans et commerçants 1 million 600000. Ce sont les micro-entrepreneurs et les travailleurs des plates-formes qui cristallisent les attentions en fonction des enjeux politiques et sociaux qu’ils portent. Et c’est sur eux que s’est concentré l’avis du CESE

Le CESE constate que « ces nouveaux visages du travail indépendant pourraient croitre sous l’impact de la digitalisation, du développement de nouveaux services et de l’économie collaborative » ajoutant que l’impact de la crise économique et « la précarisation des conditions de l’emploi salarié…ont pu pousser un certain nombre d’actif.ves à créer leur propre emploi ».

Toutes ces données objectives permettent de pondérer les projets politiques qui voient dans le mouvement de développement des plates-formes ou des micro-entrepreneurs un processus de détricotage massif du salariat et de participation majeure au recul du chômage de masse.

L’état des lieux dressé par cet avis est éclairant. Il existe bien des catégories de micro-entrepreneur.euses qui exercent avec ce statut « faute de mieux ». Une majorité d’ailleurs exerce de façon complémentaire à une autre activité, avec multi-employeurs. Mais « ceux et celles qui exercent- à titre principal- sous ce régime ne génèrent en moyenne que de très faibles chiffres d’affaires (de l’ordre de 500 euros par mois) ». Avec une pérennité très mince puisque « seulement 38% de celles qui ont démarré en 2010 étaient encore en activité cinq ans plus tard ».

Le phénomène est donc loin d’être un mouvement profond menaçant directement le salariat et constituant un espace attractif et sans danger, un nouveau modèle contribuant à la sortie de crise.

Dans les faits, la question centrale d’offrir de nouvelles garanties (juridiques, protection sociale) à ces nouveaux travailleurs indépendants constitue le cœur de l’avis qui fait un certain nombre de propositions en ce sens insistant notamment sur la responsabilisation des plateformes, la nécessité de créer les conditions d’un dialogue social et le besoin d’une meilleure connaissance du secteur.

Mais on peut regretter que l’avis ne souligne pas assez qu’une grande partie des situations relève de processus de requalification du statut de micro-entrepreneur en statut de salarié, comme l’on encore démontré une série de décisions juridiques notamment en Grande Bretagne ou au USA pour la firme UBER.

Quant aux modalités de représentativités concernant le dialogue social nécessaire au niveau du micro-entreprenariat ou des plates-formes, le texte reste d’une ambiguïté très forte.

L’intégration au système d’Assurance chômage laisse ouverte des questions redoutables. Quels seraient pour les nouveaux travailleurs indépendants les critères d’ouverture des droits, quels seraient leurs contributions financières ? l’avis préconise une expérimentation limitée en renvoyant aux négociations sur l’UNEDIC ; les organisations d’employeurs y ont exprimé leur hostilité, préférant une assurance volontaire, et inversement on peut penser qu’une brèche risquerait d’être ouverte dans un système collectif réservé aux salarié.e.s sous gestion des partenaires sociaux avec des conséquences financières sur le système d’indemnisation des chômeurs déjà fortement carent aujourd’hui.

Bref un avis qui fait le choix de préconiser des protections indispensables pour ces travailleurs mais ne va pas au bout de la démarche et laisse ouvertes beaucoup de questions et d’ambiguïtés, .

Par Noel Daucé

pour lire l’avis ici