Jean Jouzel

A la suite de la publication du rapport du GIEC, le CESE a voté une résolution l’engageant concrètement dans la lutte contre le réchauffement climatique : le climatologue Jean Jouzel a présenté devant le conseil les principaux éléments de ce rapport.

1) Que faut il retenir de ce dernier rapport du GIEC?

Le rapport , à la demande de la conférence de Paris a pour objet de vérifier quelles seraient les conséquences d’un réchauffement de 2° en moyenne par rapport aux conséquences d’une augmentation de 1,5°. Il fait d’abord un constat : un réchauffement de l’ordre de 1° en moyenne mondiale depuis le début du vingtième siècle qui produit des effets perceptibles sur le climat avec notamment une intensification des phénomènes extrêmes . Il montre ensuite, ce dont on n’était pas assuré, qu’il y a des différences sensibles entre plus1,5° et plus 2° : ainsi avec 2° de plus les températures les plus chaudes connaîtront une augmentation double de celle de l’augmentation moyenne  et les précipitations torrentielles seront plus intenses. En matière de biodiversité la perte serait au moins double. L’élévation du niveau des mers serait supérieure de dix centimètres d’ici la fin du siècle, ce qui signifie dix millions de personnes de plus déplacées . . Enfin il y aurait baisse de rendement des cultures céréalières et des ressources halieutiques. Bref il est clair qu’un réchauffement de 2° aurait des conséquences beaucoup plus sensibles que 1,5.

2) Que faudrait-il faire pour atteindre cet objectif  de 1,5°?

A la conférence de Paris chaque pays était venu avec des engagements qui ont été actés si bien que presque tous ont signé et tous les grands pays, USA inclus, ont ratifié, à l’exception de la Russie. Le problème est que l’addition des engagements ne correspond pas aux objectifs  affichés en matière de réchauffement: aujourd’hui les émissions de CO2 sont de l’ordre de 40 milliards de tonnes et si l’on tient compte des autres gaz on passe à 50 milliards de tonnes d’équivalent CO2 ; en laissant les choses en l’état on monterait d’ici 2030 à 65 ou 70 ; si l’accord de Paris est respecté on peut espérer aller seulement à 55 milliards. Or l’accord lui-même indique que pour rester autour de +2° il faudrait baisser autour de 40 milliards de tonnes et « beaucoup moins » pour 1,5. Le rapport du GIEC montre qu’il faudrait en fait passer autour de 25 à 30 milliards : comme les émissions ont augmenté depuis cette date il faudrait en fait diviser par deux les émissions entre 2020 et 2030. Il serait impératif d’amorcer la baisse dès 2020.

Elle devrait déboucher sur ce qu’on appelle la neutralité carbone : celle-ci devrait être atteinte en 2050 pour une limitation à 1,5 contre 2075 pour 2°. Mais dans les deux scénarios on doit en plus enlever du carbone de l’atmosphère et il faudrait être capable de le faire dès maintenant. Pour cela quatre types de solutions sont envisagées : la reforestation, l’utilisation de la biomasse combinée avec du piégeage du CO2 (il s’agit d’utiliser de la végétation pour produire de l’énergie tout en capturant le CO2 à la sortie du dispositif), le stockage du carbone dans le sol, enfin le pompage direct, qui existe actuellement à l’échelle expérimentale. .

En fait tout cela implique des changements majeurs et rapides, un vrai changement de société et de mode de développement, avec abandon des combustibles fossiles d’ici 2050. Et ce rapport dit aussi en creux la difficulté de rester en deçà de deux degrés : cela nécessite que tous les secteurs, tous les pays, tous les individus s’y mettent tout de suite. Or le retrait des USA de l’accord de Paris va rendre les choses difficiles avec le risque d’un réchauffement de plus de 3° et ce serait là catastrophique.

 

3) Quels sont les principaux obstacles à ces changements et surtout comment les surmonter ?

Ce rapport qui a été très commenté participe à la prise de conscience à la fois des élites et des citoyens qui se rendent compte du dérèglement climatique : le terrain est donc moins favorable aux climato-sceptiques même s’ils restent encore assez actifs ; mais ce n’est pas selon moi le principal obstacle. En fait on s’aperçoit qu’il ne suffit pas de savoir pour prendre en compte la nécessité d’agir. Et surtout le véritable problème est que les décisions à prendre touchent notre vie de tous les jours : mobilité, alimentation, constructions, paysages, tourisme… Par exemple avec le low cost le transport aérien a bondi avec des conséquences considérables en termes de consommation d’énergie  et les émissions liées au transport aérien et maritime ne sont pas comptées dans les émissions des pays.

Une des façons de prendre le taureau par les cornes serait de mettre sur pieds un véritable plan Marshall pour le climat , avec des investissements importants. La cour européenne des comptes a montré que pour réaliser les objectifs européens en matière de transition énergétique (la division par cinq des émissions d’ici 2050) il faudrait investir mille cent quinze milliards d’euros chaque année, ce qui revient à y consacrer deux à trois points de PIB de plus pour chaque pays. Pour la France les chiffres varient entre 45 et 85 milliards d’euros par an. On pourrait créer une banque européenne du climat qui mettrait à la disposition des états ces mille milliards par an sous forme de prêts à taux zéro et également instaurer un budget européen de cent milliards par an pour aider les particuliers, par exemple pour l’isolation des logements. Il faut que chacun s’implique mais si l’on veut enclencher une dynamique vertueuse il faut des moyens ! Ce sont donc des investissements considérables mais en même temps ils sont créateurs d’emplois : on parle de six millions à l’échelle européenne, de six cent à neuf cent mille en France. Et pour moi ces investissements sont porteurs de dynamisme économique et pas l’inverse.

Bien sûr il y a aussi des freins techniques : par exemple pour développer le renouvelable il faut mieux stocker l’énergie. Réussir cette transition nécessitera d’être inventifs : il faut beaucoup de recherche et d’innovation mais justement pour les jeunes c’est une perspective stimulante. Il ne faut surtout pas voir ce monde futur comme négatif ; c’est au contraire un projet attractif que de construire un modèle de développement différent de celui que nous avons connu.

Par Gérard Aschieri

pour lire la résolution : ici